Les coffres-forts désormais dans le radar de l’administration fiscale


Paroles d’expert


9 juillet 2020

Depuis aussi longtemps que les établissements bancaires existent, ces derniers sont munis de coffres-forts qui ont fait l’objet de nombreux films relatant leur violation. Les coffres-forts servent aussi bien à conserver les valeurs des établissements bancaires que celles de leurs clients. En effet, un service de location de coffres-forts est proposé aux clients et leur permet de placer des biens ou liquidités dans des coffres-forts de différentes tailles et en fonction du niveau de valeur.

Par Maître Julien Alquier, Avocat en droit fiscal au barreau de Nice, chargé d’enseignement à l’Université Nice-Sophia-Antipolis, doctorant au sein du laboratoire CERDP (E.A n°120), enseignant à l’EDHEC

La location d’un coffre-fort peut être saisonnière ou de longue durée et permet, normalement, de conserver en sécurité des objets de valeur ou de protéger des documents administratifs importants des cambrioleurs, des accidents ou des sinistres tels une inondation ou un incendie. C’est pourquoi, de nombreux parents, depuis plusieurs générations parfois, pouvaient laisser des bijoux de famille ou encore de l’argent en espèce à l’abri de ce type de coffres-forts dans lequel une ou plusieurs personnes désignées peut accéder à l’aide d’une procuration. Jusqu’à récemment, ces coffres-forts ne faisaient l’objet d’aucune déclaration de la part des établissements qui les détenaient. Cela n’est plus le cas depuis l’arrêté ministériel publié au journal officiel du 6 mai 2020.

Une décision prise en plein confinement

Alors que toute la France était confinée en raison du coronavirus, les parlementaires et le gouvernement censés gérer la crise sanitaire et prendre des dispositions d’urgence en comité réduit, avec notamment un seul représentant par groupe politique dans l’hémicycle lors de séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, ont quand même trouvé le temps de mettre fin au secret bancaire sur les coffres-forts. Bien que cette identification des titulaires de coffres-forts soit prévue par la 5e directive européenne anti-blanchiment de l’année 2018, le calendrier pour faire passer cet arrêté modifiant la loi laisse penser à une volonté de discrétion de la part du ministre de l’économie et des finances.

Le contenu du FICOBA toujours plus étendu

Désormais, la location d’un coffre-fort dans un établissement bancaire sera recensée dans le fichier des comptes bancaires (FICOBA) qui reprend l’identité de toutes les personnes qui détiennent des comptes en France. Cette obligation déclarative de la part des banques doit être réalisée avant le 31 décembre 2024 auprès de l’administration fiscale et concerne tous les titulaires de coffre-fort à compter du 1er septembre 2020. Le contenu du coffre-fort n’aura pas à être déclaré mais les perspectives pour l’administration fiscale permettront d’y accéder. La création d’un système d’identification des titulaires de coffres-forts au sein du FICOBA n’est pas sans conséquence. En effet, le fichier FICOBA est utilisé par l’administration fiscale ainsi que d’autres organismes comme les douanes, les magistrats ou les huissiers de justice, les services de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), ou encore les organismes sociaux et les officiers de police judiciaire. Les données FICOBA peuvent également être communiquées sur la base d’une décision judiciaire prévoyant expressément l’accès aux données de ce fichier. Cela signifie qu’en pratique, tous ces organismes pourront, notamment dans leurs missions de contrôle et de recouvrement, utiliser le FICOBA pour connaître les titulaires de coffres-forts et solliciter la juridiction compétente afin d’effectuer une perquisition, voire même, une saisie du contenu de ces coffres-forts. Alors, si l’objectif initial d’anti-blanchiment d’argent est légitime, il n’en demeure pas moins que les fraudeurs ne devraient pas être les seuls à s’inquiéter. Prenons le cas, entre autres, de l’administration fiscale qui, dans le cadre d’une procédure de contrôle obtiendrait l’accès à un coffre-fort détenu par une personne ayant accumulé les liquidités durant toute sa vie.
Nombreuses sont les personnes âgées qui, plutôt que remplir leurs bas de laine sous leur lit, ont préféré effectuer des retraits d’argent liquide afin de les déposer dans leur coffre-fort. Mais ce type de personne, aussi honnête soit-il, pourra-t-il justifier de tous ses retraits et que ces derniers correspondent bien à l’argent liquide déposé dans le coffre-fort ? Rien n’est moins sûr car il n’existera aucune trace des dépôts de liquidités dans le coffre-fort contrairement à des relevés de comptes bancaires qui peuvent, à leur lecture, faire apparaitre des mouvements que le contribuable pourra tenter de justifier.
Autrement dit, l’administration fiscale serait en droit d’imposer ces sommes présentes dans un coffre-fort comme des revenus d’origine indéterminée avec l’application de pénalités.
Il conviendra donc à tous les contribuables disposant d’un coffre-fort dans un établissement bancaire, de réaliser un petit inventaire pour être certain de pouvoir justifier de son contenu avant d’apparaître dans le FICOBA, sans quoi, ils risquent fort d’avoir besoin des services d’un avocat fiscaliste.


Maître Julien ALQUIER