Parquet National Financier : dans la tourmente des écoutes d’avocats


Droit


13 juillet 2020

Le PNF et les écoutes tout le monde en parle, petit décryptage pour mieux comprendre

Chargé de la lutte contre la corruption et doté d’une grande autonomie, le PNF a t-il dérapé en plaçant sur écoutes des avocats et des magistrats ? Sujet sensible !

Le Parquet National Financier (PNF) a été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique
et financière. Il est entré en activité le 1er février 2014. Sa création répond à "une politique publique globale de transparence démocratique et de lutte contre les formes de fraudes les plus graves aux finances publiques et les atteintes à la probité". À l’origine de cette création, l’affaire Cahuzac, du nom du ministre du budget, chargé notamment de la lutte contre la fraude fiscale, et qui avait à titre personnel des comptes non déclarés à l’étranger.
La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ont été créés à la même époque. L’arsenal de la lutte contre
ces dérives a été récemment complété par la création de l’Agence française anticorruption (AFA). L’ONG Transparency International publie un indice de "perception de la corruption" dans lequel la France figure à la 23ème place des 180 états classés, les pays les plus vertueux étant la Nouvelle-Zélande, le Danemark et la Finlande ; les pires la Syrie, le Sud-Soudan et la Somalie. Les Pays-Bas, le Royaume Uni, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, les USA et l’Irlande sont mieux classés que l’Hexagone...
De compétence nationale, le PNF enquête sur les atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, favoritisme, etc.), les atteintes aux finances publiques (fraude fiscale aggravée, escroquerie à la TVA, etc.) et sur les atteintes au fonctionnement des marchés financiers (délit d’initié, manipulation de cours, etc.) Il touche donc à des affaires sensibles, médiatisées, comme le dossier de François et Pénélope Fillon.
Un peu plus de 500 procédures étaient en cours en 2019 au PNF.
37% ont pour origine une dénonciation ou un signalement émanant d’une autorité publique, 36% ont été transmises par un parquet, 15% sont ouvertes à la suite d’une plainte directe d’un particulier, d’une entreprise ou d’une association. 12% sont initiées sur des informations issues d’autres procédures, de données collectées en source ouverte (site internet, base de données publiques, etc.), ou d’articles de presse contenant des "révélations".

Mais si les buts du PNF sont louables, les moyens utilisés par ses enquêteurs font polémique. Ainsi l’ancien président Nicolas Sarkozy et son avocat ont-ils été placés sur écoutes, ce qui "est juridiquement possible en enquête préliminaire sans que la loi n’impose d’informer le bâtonnier" estime le PNF. Il semble bien que dans cette affaire les écoutes ont aussi concerné
de nombreux avocats, dont le ténor Éric Dupond-Moretti qui a déposé plainte la semaine dernière (avant de la retirer après sa nomination au poste de Ministre de la Justice). Pour lui, pas de doute, il y a eu violation de l’intimité de la vie privée (par la géolocalisation notamment) ainsi que du secret professionnel et des correspondances. Des magistrats auraient également été écoutés. Le monde judiciaire est en émoi devant des pratiques relevant "d’un cabinet de barbouzes" comme le dénonçait Dupond-Moretti.
Devant l’émoi, Nicole Belloubet a demandé le lancement d’une enquête à l’Inspection générale de la justice sur les agissements du PNF ainsi qu’un rapport circonstancié à la procureure générale de Paris, l’autorité de tutelle du parquet financier. Le PNF est-il trop autonome ? Est-il acceptable dans une démocratie que des avocats et des magistrats soient écoutés "à grande échelle" ?
Sujet politique brûlant !


Jean-Michel Chevalier