Tour de France : Nice en "chasse-patate" ?


Economie


21 août 2020

Être en "chasse-patate". L’expression fait partie du jargon cycliste. Elle est employée pour désigner un coureur en position inconfortable de par son placement dans la course. Un homme généralement isolé entre le peloton et les échappés, qui ne sait plus trop si ses espoirs de rejoindre le groupe de tête pourront se concrétiser.

Avec le Grand départ du Tour de France, qu’elle accueille du 29 au 31 août, Nice est un peu dans la même situation, depuis qu’un redoutable virus venu de Chine a conquis la planète au point de la plonger dans un marasme inédit. La capitale azuréenne récoltera-t-elle les fruits des efforts engagés ces deux dernières années pour s’offrir le premier événement sportif annuel au monde ? Les retombées économiques pour le territoire seront-elles à la hauteur des prévisions ? Rien n’est moins sûr...

Des masques au bord des routes ?

Initialement programmée à partir du 28 juin, l’entame de la Grande Boucle a été repoussée à la fin de l’été par la crise sanitaire. Alors le Tour 2020, qui lui au moins a réussi à sauver sa peau quand d’autres grands rendez-vous se sont vus purement annulés, ne ressemblera pas aux précédents. Ça, c’est une certitude.

Christian Estrosi et Christian Prudhommes ont présenté le 19 août les mesures sanitaires mises en place pour le départ DR Ville de Nice

"Les coureurs feront bonjour de loin et voilà, ce n’est pas pour ça qu’ils ne seront pas sympas. Finalement, ce sera comme Wimbledon ou la finale de la Ligue des champions, Federer et Messi ne vous donnent pas d’autographe le matin", déclarait récemment Christian Prudhomme, en indiquant qu’une bulle sanitaire entourerait les coureurs. Le patron d’ASO, la société organisatrice de l’épreuve, prévenait ainsi les fans que la proximité populaire
habituelle ne serait pas de mise cet été, alors que des jauges seront imposées sur les aires des départs et des arrivées des étapes, mais aussi au sommet des cols, généralement assaillis par des foules déchaînées. Si le port du masque est tendance dans les espaces publics de nombreuses villes en ce moment, il pourrait l’être aussi sur le bord des routes françaises. C’est en tout cas le vœu de
Christian Prudhomme, qui appelle les spectateurs du Tour à cette précaution.
Pas certain, dans ce contexte, que les 12 millions de personnes qui s’amassent d’ordinaire le long du parcours soient fidèles à la course. D’autant que les nouvelles dates, qui s’étirent bien au-delà de la rentrée scolaire, devraient avoir des conséquences sur la fréquentation.

À quelques jours de départ Nice se pare aux couleurs du Tour DR VN

30 à 60 millions de retombées économiques espérées

En temps normal, le Tour de France est une bonne affaire pour les villes hôtes. Selon une étude du cabinet Protourisme, il rapporte à la collectivité organisatrice entre 1,5 et 2 € pour 1 € investi. En tablant sur les résultats des éditions récentes, la ville de Nice espère 30 à 60 millions de retombées. Toujours difficile à prédire avec précision, cette manne est encore plus incertaine en ces temps de Covid-19. L’événement reste néanmoins perçu comme une opportunité exceptionnelle de relance économique, après des mois douloureux, et une formidable caisse de résonnance médiatique.
Christian Estrosi n’a donc pas hésité à débourser 3,55 millions HT pour obtenir ce Grand départ. C’est la somme versée à ASO dans le cadre d’un marché garantissant trois jours de course sur 360 km de routes métropolitaines. Il faut lui ajouter d’autres coûts d’organisation et logistiques, dont le montant n’est pas encore connu, mais qui font grimper l’enveloppe globale à laquelle doit abonder la Métropole, voire la Région.

Entre inquiétude et optimisme

Pour justifier l’intérêt d’un tel investissement, la ville rappelle quelques chiffres : 4 500 suiveurs de l’épreuve dont 2 500 journalistes, 3,5 milliards de téléspectateurs dans le monde, non pas trois mais huit jours de présence à Nice ou encore 13 000 nuitées dans les hôtels sur la période. "Si le calendrier originel avait été respecté, il est vrai que l’événement aurait constitué une superbe opportunité pour la profession. Nous avions beaucoup de demandes avant le report", indique Michel Tschann, président honoraire du Syndicat des hôteliers Nice Côte d’Azur. "Mais pour fin août, au moment du Tour de France, nous ne tablons pour l’instant que sur un taux d’occupation de 60 %. Nous sommes dépendants de l’évolution de la situation sanitaire et des mesures qui en découleront. Les discours actuels sur les masques, les huis clos... ne sont pas très incitatifs. Et puis nous savons que nous allons souffrir de l’absence des touristes férus de vélo venus de Belgique, où la situation sanitaire est problématique en ce moment".
Le report à 2021 de l’Étape du Tour, une cyclosportive qui devait rassembler 15 000 cyclistes sur le parcours des pros le 6 septembre, est sans conteste un autre point noir pour le tourisme local.
Un espoir demeure cependant, car l’épidémie a pour effet d’entraîner un flot de réservations de dernière minute. "C’est ce que nous venons de vivre sur les deux premières semaines d’août au cours desquelles nous avons pratiquement atteint les niveaux de l’an dernier". Autre motif d’optimisme, "Nous allons dans tous les cas jouir d’une exposition médiatique exceptionnelle qui sera bénéfique à l’image de Nice. Le plus important, c’est que le Tour ait lieu".
Ce n’est plus qu’une question de jours. Jaune, vert, blanc à pois rouges..., certaines chaises de la Prom’ ont déjà abandonné leur bleu légendaire tandis que les palmiers se sont drapés des couleurs des maillots distinctifs de la course. Petit à petit, le décor du Tour de France s’est installé près des plages tandis que dans les moyen et haut pays, le bitume des routes a achevé sa cure de jouvence. Ça y est, pour les Azuréens et les amoureux de la petite reine, la Grande Boucle devient réalité.
Un bouquet avant l’heure, car, n’en déplaise aux grincheux et aux éternels insatisfaits, il y a quelques mois, c’était loin d’être gagné.

Un 37ème passage à Nice

-  Une longue histoire : Nice a accueilli le Tour de France à 36 reprises. La première fois, c’était en 1906, lors de la 4e édition de l’épreuve. Le Grand départ y a déjà été donné en 1981. Le dernier passage des coureurs remonte à 2013, lors du contre-la-montre par équipe de la 100e Grande Boucle.
- Diffusion XXL : Le Tour n’est autre que le 3ème événement sportif mondial, derrière les Jeux Olympiques d’été et la Coupe du monde de foot, qui ont lieu tous les quatre ans. Il est le numéro un des manifestations annuelles et, à ce titre, sa diffusion est exceptionnelle : 190 pays via 100 chaînes (dont 60 en direct).
- Côté course  : En s’élançant de Nice, la compétition se réserve sans doute un scénario palpitant dès son entame. La première étape, le 29 août, proposera trois boucles sur les routes du proche arrière-pays niçois et une arrivée pour sprinteurs sur la Prom’. Le lendemain, le peloton prendra de l’altitude et franchira les cols de La Colmiane, du Turini et d’Èze avant une nouvelle arrivée sur le bord de mer. Une première explication entre favoris n’est pas exclue. Enfin, le 31 août, le départ de la 3e étape sera donné du stade Allianz Riviera en direction de Sisteron, par Grasse et la Route Napoléon.


Jean PREVE