GILBERT ET GEORGE au Musée Fernand Léger


Culture


1er septembre 2020

Une exposition à découvrir absolument au Musée Fernand Léger à Biot !

De juin à mi-novembre, le Musée Fernand Léger à Biot présente une imposante exposition mettant en parallèle deux chefs d’oeuvre du XXe siècle : d’une part « Les Constructeurs », peint par Fernand Léger (1881-1955) à la fin de la Seconde Guerre Mondiale - et oeuvre emblématique du Musée de Biot -, et d’autre part le triptyque « Class War, Militant, Gateway », réalisé en 1986 par le couple d’artistes britanniques Gilbert et George, nés respectivement en 1943 et 1942.

La puissance plastique de cette peinture monumentale – propriété de la Fondation Louis Vuitton – s’inscrit en dialogue avec l’ensemble de l’oeuvre de Fernand Léger qui a toujours été préoccupé par des valeurs morales et sociales.

Ces deux oeuvres, celle de Fernand Léger et celle de Gilbert & George, expriment leur même intérêt pour tout ce qui concerne les villes dans la suite de l’évolution industrielle, qu’il s’agisse de leur construction ou de la consommation à outrance qui en a vite découlé.

Si Fernand Léger porte son intérêt sur l’esthétique industrielle de la ville moderne, Gilbert et George eux se préoccupent du rythme trépidant de cette ville (que ce soit Paris ou Londres) et à l’accumulation de déchets dus à la société de consommation dans l’espace urbain.

De même que, si Fernand Léger a foi en l’avenir en portant son regard sur la reconstruction de l’après-guerre, Gilbert et George, eux, soulignent avec ironie l’exploitation de la classe ouvrière. Le contexte politique s’est alors élargi et ils n’ont pas le même engagement que leur prédécesseur. Avec humour, ils soulignent la tension de l’époque de Margaret Thatcher où les homosexuels étaient stigmatisés et, de plus, frappés par le sida. S’ils revendiquent des thèmes sociaux, ils en soulignent toujours l’utopie avec ironie et même un humour qu’ils savent dissimuler derrière un semblant de sérieux. « Nous savons que nous ne pouvons atteindre l’utopie, néanmoins nous essayons chaque jour », disent-ils.

Mais, avant tout, ce sont des émotions qui leur dictent des oeuvres s’adressant aux émotions de chacun.

Même si la dérision est aussi de la partie dès que, au cours de leurs études, ils prirent conscience ne pas être en accord avec leurs enseignants. Refusant les théories de l’abstraction à l’époque en vogue dans le monde de l’art, ils imaginent alors leur propre style ancré dans le monde réel, « un art pour tous ». Cependant, dans leur univers, les femmes n’ont aucune place, même s’il s’agit de montrer l’humanité, dont elles représentent pourtant la moitié dans la réalité.

S’étant rencontrés en 1967, au cours de leurs études à la St Martin’s School of Art de Londres, ils eurent un coup de foudre réciproque et travaillèrent aussitôt ensemble, se choisissant d’abord eux-mêmes comme sujet de leur oeuvre pour refléter le chaos qui s’infiltrait déjà dans le monde. Chaque visiteur peut constater combien l’art de Gilbert et George est le reflet de leur univers, intense et provocateur, et de leurs regards réunis sur la pagaille de l’humanité actuelle.

Obsédés par l’espace, ils expérimentent de grands tableaux aux couleurs franches : jaune, vert, bleu, rouge, surtout le rouge. Leur intention est de transmettre leur expérience émotionnelle au monde contemporain, avec leur art, très maîtrisé, qui s’autorise pourtant également la plus grande folie, jusqu’à devenir un art extravagant et onirique.

L’usage des couleurs vives introduit une atmosphère prégnante, témoignant d’une même fascination pour les paysages urbains issus du monde industriel et de l’évolution mondiale de la société. Un nouvel art populaire est né, issu de la société de consommation et de la publicité qui en découle : c’est le triomphe étourdissant de l’objet, qu’ils introduisent dans l’art.

L’exposition se termine sur une oeuvre immense qui a demandé beaucoup de soin pour son déplacement et son montage. Elle surgit dans l’obscurité tel un vitrail dans une église et fascine le visiteur découvrant l’univers de ce duo d’artistes qui dit s’inspirer de Fernand Léger, de son geste expressionniste, de ses grandes compositions. Mais, prolétaires ou pas, les travailleurs de Gilbert et George sont de beaux mecs aux regards provocateurs qui tiennent distraitement leurs outils de travail.

Pourtant la réalité est bien là, se mêlant à celle qui a toujours occupé les toiles de Fernand Léger. Aussi, leur oeuvre exprime-t-elle une énergie, une tension dramatique, une urgence, une dynamique dans le mouvement que leur glorieux aîné insufflait déjà à ses tableaux.

Caroline Boudet-Lefort


Caroline Boudet-Lefort