L’anonymisation des agents de l’administration


Paroles d’expert


17 novembre 2020

L’anonymat est, au sens le plus strict, la caractéristique de ce qui n’a pas de nom. C’est une nouveauté législative passée plutôt inaperçue dans la LOI n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 et dont le décret précisant les modalités d’application vient d’être publié. Les agents des
finances publiques possèdent désormais d’un dispositif de protection de leur identité au même titre que les policiers, gendarmes, douaniers voire des agents de renseignement.

Par Maître Julien Alquier Avocat en droit fiscal au barreau de Nice, chargé d’enseignement à l’Université Nice-Sophia-Antipolis, doctorant au sein du laboratoire CERDP (E.A n°120) et enseignant à l’EDHEC

Si l’anonymat peut se comprendre aisément dans cette dernière catégorie en raison de leur activité, ou même celui des policiers infiltrés, celui des agents des finances publiques parait plus étonnant. S’il est fort possible que ces derniers puissent faire face à des contribuables récalcitrants, il n’en demeure pas moins que tous les fonctionnaires des services publics peuvent prendre des risques similaires et être confrontés à des administrés insatisfaits sans pour autant risquer leur vie quotidiennement.

Une sécurité renforcée

C’est l’article L. 286 B.-I.du livre des procédures fiscales qui prévoit que "Dans le cadre des procédures de contrôle, de recouvrement et de contentieux prévues au présent livre, tout agent des finances publiques peut être autorisé à ne pas être identifié par ses nom et prénom lorsque, compte tenu des conditions d’exercice de sa mission et des circonstances particulières de la procédure, la révélation de son identité à une personne déterminée est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches". L’agent qui bénéficiera de l’anonymat sera identifié "par un numéro d’immatriculation administrative, sa qualité et la mention du service déconcentré ou du service à compétence nationale dans lequel il est affecté". De plus, le décret dispose également que l’autorisation d’anonymisation est valable pour toute la durée de la procédure au titre de laquelle elle est délivrée et pour l’ensemble des actes liés à l’exercice de la mission de l’agent qui en est bénéficiaire. Autrement dit, la personnification de l’agent de l’administration fiscale qui
effectuait le contrôle d’un contribuable ne sera plus obligatoire. Un simple matricule lui sera communiqué en guise d’interlocuteur dans le cadre d’un contrôle fiscal.

Le risque d’une mise en oeuvre automatique

La protection des agents de l’administration fiscale est normale si la révélation de leur identité présente un risque pour leur vie, leur intégrité physique ou celle de leurs proches. Mais qu’en est-il de la réalité de ce risque et comment va-t-il être évalué ? Aussi, pourquoi seuls les agents qui risquent leur vie devraient être protégés de manière plus accrue, et non les agents qui s’exposent à des risques de violences, d’agressions ou même d’harcèlement lorsqu’ils réalisent des contrôles fiscaux in situ avec des contribuables qui peuvent s’avérer dangereux en se comportant de manière virulente. Malheureusement le risque zéro n’existe pas, quelle que soit son activité mais cette anonymisation risque probablement d’être un premier pas vers un manque de transparence préjudiciable aux personnes contrôlées.

Une clandestinité au détriment du contribuable

L’anonymat peut être aussi bien une source de liberté, comme dans le journalisme, qu’une contrainte sociale source de danger. C’est souvent cette deuxième situation qui se produit lorsque la puissance publique l’utilise abusivement. L’anonymisation des agents des finances publiques aura des conséquences procédurales, puisque les conseils auront beaucoup plus de mal à vérifier les vices de forme au regard de la qualité, la compétence et les obligations des agents anonymes. Si une vérification restera toujours possible par l’intermédiaire du juge compétent, cela rajoute une nouvelle démarche au contribuable dans une procédure de contrôle déjà fort peu agréable.
Alors que la personnalisation des relations entre les agents des services publics et les administrés est un gage de transparence procédurale, l’anonymat dans l’administration fiscale semble indiquer un recul de visibilité pour les contribuables contrôlés. Comme le dit l’écrivain Amélie Nothomb "Ce n’est pas pour rien que les humains portent des noms à la place des matricules… ".


Maître Julien ALQUIER