Muriel Mayette-Holtz : « Ne pas être envisagé par le Gouvernement est dramatique »


Economie


24 novembre 2020

Les directrices et directeurs de lieux culturels, appellent à la réouverture des théâtres

Hier, Directeurs et Directrices de théâtres et de lieux culturels appelaient, dans une lettre ouverte au Gouvernement, à la réouverture des lieux de culture et de divertissement. Une supplication à laquelle s’est joint Muriel Mayette-Holtz, Directrice du Théâtre National de Nice. Précarité naissante dans le secteur des arts vivants, état d’une crise sans précédent et le besoin d’évasion par l’émotion, Muriel Mayette-Holtz nous dit tout.


Dans la lettre ouverte, il est fait mention d’une nouvelle forme de précarité dans le monde des arts du spectacle. Comment se manifeste-t-elle à Nice comme ailleurs ?

- Muriel Mayette-Holtz : Les structures comme le TNN sont assez construites pour pouvoir absorber des règles du jeu qui changent. Mais dans nos métiers, et c’est ce qui est difficile à comprendre, c’est que ce sont des métiers à combustion lente. C’est-à-dire qu’il y a un grand temps de préparation dans les coulisses - un mois de répétition et avant cela il y a le metteur en scène qui se met d’accord sur les décors, la traduction, les costumes, qu’il faut mettre au point. Ce qui veut dire que nous anticipons nos programmations jusqu’à 2 ou 3 ans à l’avance. À partir du moment où l’un des plus grands marchés de la création comme celui d’Avignon a été annulé, toutes les créations sont restées orphelines d’un rendez-vous. Ces créations, vont être reportées à l’année prochaine ce qui signifie que pendant une année nous ne créons plus, dans l’attente de pouvoir montrer ce qui est déjà en attente. Et plus le temps passe, plus on absorbe tous les spectacles que nous avons dû annuler. Ces spectacles reportés prendront la place de nouvelles créations. Et ce système de vases communicants aggrave chaque jour la situation, surtout pour les compagnies autonomes qui dépendent de leurs propres créations.

Cette crise est-elle inédite dans le monde du spectacle vivant ?
- M. Mayette-Holtz : Nous avons déjà traversé des crises, mais jamais sur une aussi longue période. En tous cas, pas à ma connaissance -et je fais du théâtre depuis que j’ai 14 ans. Il y a déjà eu quelques crises, on se rappelle notamment de celle sur le statut des intermittents, mais c’étaient des crises ponctuelles. Ce qui est terrible aujourd’hui, c’est la longueur de cette crise et l’impression, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai pris ma plume, que tout monde de la culture n’est absolument pas envisagé par notre Gouvernement. Comme si tout cela n’était qu’un plus de distraction qui passerait après les sujets sérieux. Le fait de ne pas être envisagé est dramatique.

Des réponses du Gouvernement ?
- M. Mayette-Holtz : Non pas encore. Nous sommes suspendus aux annonces de ce soir. Peut être va-t-on nous annoncer quelque chose de terrible mais au moins qu’on nous envisage ! Le fait de ne pas être envisagé c’est comme si nous étions secondaires. C’est violent pour nous, mentalement, mais c’est aussi terrible pour la société car c’est une façon de ne pas envisager le pouvoir de la culture dans le monde.

Comment organise-t-on une pièce à l’ère du Covid ?

-  M. Mayette-Holtz : Dans le monde de la culture et des arts du spectacle nous savons nous adapter, nous avons d’ailleurs prouvé, cet été ou lors du confinement, que nous pouvions répondre aux problématiques posées par les mesures sanitaires en proposant des tas de choses nouvelles, comme les spectacles en extérieur, par exemple. Par ailleurs la situation sanitaire pour accueillir le public est totale. On applique la distanciation sociale, le port du masque est obligatoire, on veille à tout désinfecter entre chaque représentation, on enlève les premiers rangs de sièges…Les lieux de culture sont sûrement les endroits les plus sécurisés. Et c’est délirant de voir que nous ne pouvons pas ouvrir les théâtres alors qu’il y a beaucoup moins de risques de transmission que dans les transports en commun ou les grandes surfaces. Bien sûr, les acteurs sur scène n’ont pas de masques. Nous ne pouvons pas manipuler l’énergie vocale et physique avec un masque, c’est impossible. Mais nous sommes extrêmement vigilants là-dessus. Nous ne restons qu’entre nous, - et j’insiste là-dessus- et nous veillons à respecter scrupuleusement les mesures imposées, car si l’un de nous tombe malade c’est toute la troupe qui en pâtit. Par exemple, je passe de chez moi au TNN et à part la troupe, je ne vois personne d’autre. Et pour preuve, nous n’avons jusque là pas constater de cluster dans les théâtres. Joué devant un public masqué est à la fois très étrange et absolument génial, car ça prouve que les gens ont vraiment envie d’être là, et ça compense largement le fait que la salle ne soit pas pleine.

La culture et sa diffusion sont plus importante que jamais selon vous ?
- M. Mayette-Holtz : Oui, exactement. Le monde de la culture propose un « rendez-vous des émotions ». Et si beaucoup de disciplines peuvent se transformer via les réseaux sociaux, le format vidéo, ou le numérique, ce n’est pas forcément possible au théâtre. Parce que l’intérêt des arts du spectacle réside dans le temps présent, c’est une tribune en direct. Et le numérique ne pourra jamais remplacer ce rendez-vous unique d’une pièce et de son public. « Le théâtre est un miroir tendue à la société  », disait Shakespeare, mais c’est un miroir qui n’est pas complètement vrai : la création crée une petite distance avec le monde et permet d’aborder des sujets sans être pris par l’émotion de la réalité. Et c’est ce qui nous permet d’ouvrir nos coeurs et de prendre rendez-vous avec le rire, le chagrin, et toutes les émotions humaines. Et tout cela permet de s’évader, de penser à autre chose qu’à l’actualité qui nous pèse depuis des mois. Et on a besoin de ces rendez-vous avec les émotions. On a besoin de voir les drames du monde représenté sur scène pour les appréhender, les comprendre, et surmonter tout cela.

Les pièces du TNN à voir pour les fêtes ?
- M. Mayette-Holtz : D’abord, on a besoin de plaisir, de se faire plaisir, de faire la fête. C’est pour cela que je propose au TNN Le Chat en Poche de Feydeau. Parce que c’est drôle, parce que c’est dingue, et parce que c’est une sorte d’immense récréation sur la bêtise et ça fait du bien ! On a également un magicien, un spectacle de magie, idéal pour nous faire rêver. On a besoin de rêve et de magie.

Comment aider le TNN ?
- M. Mayette-Holtz : La vraie chose qu’il est possible de faire c’est de s’abonner. Nous continuons de proposer plein de choses à nos abonnés, nous proposons des choses en numérique en attendant la réouverture des salles, et la vraie santé c’est de constater que le public continue de nous suivre. On a perdu beaucoup d’abonnés, notamment les scolaires car interdits de sortir en groupe, mais le vrai signe à donner au Gouvernement c’est de montrer que le nombre de nos abonnés continue de croître. Car ce que nous faisons nous ne le faisons pas pour nous mais pour le public. Mon travail c’est d’enchanter le public.

Le mot de la fin ?

- M. Mayette-Holtz  : Il faut ouvrir nos coeurs grâce au théâtre. Que cela reste du plaisir, un moment partagé qui nous permette de passer à autre chose.


Julie Biencourt