Assurances : comprendre et anticiper les hausses tarifaires qui s’annoncent


Droit


26 novembre 2020

Pour les chefs d’entreprise, le renouvellement des contrats d’assurances fait partie des marronniers de fin d’année. En 2020, Covid-19 oblige, cette formalité est envisagée avec une appréhension certaine, d’autant que la crise sanitaire a généré des conflits entre assureurs et assurés qui ont défrayé la chronique. C’est pour cette raison que la délégation Provence-Alpes-Côte d’Azur de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) s’est associée à des experts et aux Petites Affiches pour aider les dirigeants à comprendre les réalités actuelles du marché de l’assurance et à anticiper les hausses tarifaires à venir.

La méthode retenue en ces temps de confinement ? Un Webinaire, orchestré le 20 novembre par Didier Langlois, au nom de l’AFJE, et impliquant plusieurs spécialistes parmi lesquels Samia Stiti, du cabinet de courtage Gramaglia Assurances, à Monaco. C’est à elle qu’est revenue la tâche de faire un point contextuel : "Nous constatons que la crise soulève beaucoup d’incertitudes et de questions auprès de nos clients". Et c’est aussi elle qui s’est chargée de justifier "les mesures de redressement assez drastiques" prises par les compagnies.

Un marché de l’assurance qui se retourne

Samia Stiti, chargée de la clientèle des entreprises chez Gramaglia Assurances. DR

"Depuis plusieurs années, les assureurs font face à des déséquilibres qui sont à l’origine d’un retournement du marché, voire même d’un nouveau cycle". Et de citer des causes financières qui ont précédé la crise sanitaire, dont la baisse des taux d’intérêts. En affaiblissant les rendements des produits financiers des compagnies, elle a limité la constitution de réserves bien utiles au moment de compenser les mauvaises passes en matière de sinistralité. Des raisons conjoncturelles sont par ailleurs évoquées, comme la récurrence des catastrophes naturelles. Dans ce domaine, "le ratio combiné, c’est-à-dire la mesure de la rentabilité des activités d’assurance se dégrade. Depuis 2015, il n’y a eu aucune année excédentaire". Au niveau mondial, plus de 130 milliards de dollars de pertes ont ainsi été enregistrés en 2019. Avec des conséquences évidentes en termes de réassurance.
Les catastrophes technologiques, telles que l’incendie de l’usine Lubrizol, les mouvements sociaux, comme celui de "gilets jaunes", et l’augmentation des sinistres graves ont également pesé. À l’instar du développement des contentieux, même si Anne Trescases, Maître de conférence à l’Université Côte d’Azur, spécialisée en droit des assurances, tempère un peu leur incidence : "L’an dernier, 90% des affaires ont été traitées hors de tribunaux via des mécanismes de convention d’indemnisation, de médiation ou de transaction". Enfin, il faut voir dans la pandémie du coronavirus une autre source de tension, ainsi que le précise Samia Stiti : "Une hausse de 35% des défaillances d’entreprises est attendue dans le monde en 2021. Et de 25% en France". Cette prévision, si elle se réalise, provoquera une réduction de la masse assurable, "qui entraînera de facto une moindre capacité à régler les sinistres", conformément au mécanisme de la mutualisation. À noter en outre qu’à travers l’annulation et le report de grands événements, la crise sanitaire aura des conséquences insoupçonnées sur le marché de la réassurance. L’annulation du tournoi de tennis de Wimbledon a par exemple donné lieu au versement d’une indemnité de 130 millions d’euros. Le coût d’une telle décision pour les prochains Jeux olympiques de Tokyo, qui n’ont pour l’instant été que reportés, serait de 1,5 milliard d’euros !

Des majorations de primes inédites

Au grand regret des assurés, des mesures de redressement sont donc inévitables, à commencer par une augmentation des primes, qui va toucher toutes les branches professionnelles. "Les compagnies cherchent à rééquilibrer les ratios combinés". D’où des majorations qui vont souvent se situer entre 5 et 15%, voire 20 à 30% pour la responsabilité civile des dirigeants. "Nous sommes notamment très en difficulté sur le risque construction", avec des hausses pouvant atteindre 50% pour les grands comptes. Autres mauvaises nouvelles pour les entreprises, la hausse des franchises (certaines pourront être doublées) et le durcissement des conditions de souscription, qui vont conduire des assureurs à se retirer de certains secteurs d’activité, à refuser certains risques exposés ou encore à revoir à la hausse leurs exigences en matière de prévention.

Attention aux clauses d’exclusion !

Maître Laurent Rotgé, avocat au sein du cabinet Talliance Avocats. DR

L’insertion de clauses d’exclusion de garanties est aussi à attendre. Un sujet très polémique, car lié à des contentieux sur la couverture des pertes d’exploitation sans dommages enclenchés par des entreprises contraintes de fermer leurs portes. "Avec la crise sanitaire, les compagnies ont présenté des avenants de modification de leurs conditions générales", rappelle Samia Stiti. "Elles doivent être formelles et limitées", souligne Anne Trescases, "c’est-à-dire non susceptibles d’interprétation". En cas de litige, "elles seront interprétées en faveur de celui qui ne les a pas rédigées".
Plusieurs contentieux, impliquant notamment des restaurateurs, ont éclaté dès le premier confinement sur la question de la prise en compte du risque épidémique. "Avec six mois de recul, nous avons 50% de juges qui ont estimé que l’assuré avait raison et autant qui ont dit le contraire", indique Maître Laurent Rotgé, avocat chez Talliance. Dans ce cabinet, qui a lancé à Nice une série d’assignations demandant que la garantie soit acquise aux assurés, on est allé plus loin en suggérant à la justice de considérer "un manquement au devoir de conseil de l’assureur".

Les conseils d’un courtier

Dans un tel contexte, les entreprises doivent explorer toutes les pistes susceptibles de préserver leur budget assurances. Sur les dommages aux biens et sur les pertes d’exploitation, il est notamment conseillé de redéfinir l’exposition au risque assuré et d’améliorer la politique de prévention de l’incendie et du vol, qui peut générer des rabais. En matière de responsabilité civile, il faut être précis tant sur la détermination d’enjeux de sinistralité propres à l’activité que sur les montants de garanties, qui doivent être mis à jour. Et se méfier des franchises modulables non capées. Des leviers d’action existent aussi dans le domaine du risque auto, via encore la voie de la prévention, qui en faisant baisser la sinistralité augurera des retombées tarifaires. Ne pas oublier non plus l’option de l’auto-assurance pour le bris de glace et le vol d’accessoires.
"Il existe autant de problématiques que de secteurs d’activité", insiste Samia Stiti. Elle invite donc les dirigeants à anticiper les renouvellements d’assurance avec l’appui d’un courtier.


Jean PREVE