Comment prêcher la bonne parole laïque dans nos entreprises ?


Economie


11 décembre 2020

Le club "Ethic-Eco" de l’ordre des experts-comptables de Paca a organisé un débat passionnant sur la laïcité. Une loi mal comprise, jusque dans nos entreprises

Comment "réagir" lorsqu’un employé chargé de l’accueil se met soudainement à porter des signes ostentatoires d’appartenance à sa religion, à réclamer un aménagement de ses horaires pour pratiquer son culte, et sinon à faire du prosélytisme du moins à avoir des comportements qui l’isolent du reste des collaborateurs ? Autant de questions sensibles, auxquelles les experts-comptables sont souvent confrontés lors de réunions avec leurs clients.
À l’initiative de Colette Weizman, nouvelle présidente du CROEC-Paca, une réflexion sur ce thème qui s’invite régulièrement dans l’actualité a été menée la semaine dernière(1) avec Mohamed Laqhila, député des Bouches-du-Rhône ; Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’Islam de France ;
Marine Gueydan, chargée "des valeurs de la République" au Rectorat 13, et de l’auteur d’un ouvrage de vulgarisation sur la laïcité, Jean-Michel Aupy.
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"La laïcité est attaquée, il faut réagir"

La question des religions dans la société française n’est pas nouvelle. Si la loi de 1905 a coupé les ponts entre la République et les cultes, tout en permettant à chacun de croire librement, le moment est-il revenu de la modifier pour tenir compte de l’évolution de la société. Ou, au contraire, de "ne rien lâcher" pour rester sur ses principes ?
"Des spécialistes et des intellectuels ont depuis longtemps alerté le pouvoir politique sans réussir à se faire entendre" prévient le député Laqhila. "La majorité des musulmans ne comprend pas les drames récents causés par des fanatiques religieux. La loi de 1905 a été votée avant la présence massive de musulmans en France. Il ne faut pas aujourd’hui tomber dans le piège des extrémistes (...). La loi en débat actuellement ne sera pas de ’séparatisme’, mais a pour objet de conforter les principes républicains. Car on sent bien que la laïcité est attaquée et qu’il faut réagir". Cela passe par un "accompagnement" des professeurs de collèges et lycées pour "réapprendre à vivre ensemble". Pour cet élu du Modem, la loi de 2004 (dit" "sur le foulard islamique") a aussi eu pour effet de pousser à la création d’écoles privées musulmanes et d’autres religions. Conséquence : "il n’y a plus de mixité entre les religions".
Pour Marine Gueydan, l’enjeu pour l’école consiste à "éclaircir les principes" de la laïcité et de lui donner du sens aux yeux des élèves. "Quand on leur demande ce qu’est la laïcité, ils répondent : ’c’est contre les religions’. À nous de leur expliquer en quoi elle assure au contraire leur liberté et leur permet d’évoluer dans un cadre libre".

Le rôle des experts-comptables

Des questions qui se posent aussi dans l’entreprise. Colette Weizman confirme le rôle essentiel de conseil des experts-comptables auprès des dirigeants. "Nous répondons à leurs questions, sur du fiscal, du juridique, de l’environnemental. Et de plus en plus souvent sur la loi 1905 et sur les changements de comportement de quelques-uns de leurs salariés. Comment préserver équilibre et cohésion de l’équipe ? Pas toujours simple ! Nous sommes nous aussi des chefs d’entreprise, ces situations nous interrogent sur la conception même de la laïcité. Nous devons organiser des formations pour nos propres collaborateurs dans nos cabinets pour qu’ils puissent répondre aux entrepreneurs. C’est important pour éviter les mauvaises interprétations de la loi".

"Ne pas hésiter à adapter la loi"

Le président de la Fondation de l’Islam de France, Ghaleb Bencheikh, est sans détour : "je crois que la loi de 1905, qui est de séparation, est une bonne loi, en particulier dans ses premiers articles qui consacrent la liberté et la neutralité de l’état vis à vis du religieux". Ce juriste estime qu’il "ne faut pas hésiter à l’adapter, ne pas avoir de dogmatisme" si elle ne répond plus aux enjeux des temps présents. "Ses articles fondamentaux n’ont pas lieu à être touchés, mais les derniers, qui sont techniques, oui (...) On ne peut gouverner selon la volonté de Dieu, on ne peut pas dans notre société composite se prévaloir d’une autre législation que la loi commune. Appliquons déjà ce dont nous disposons comme arsenal, l’inflation législative n’est pas bonne".
L’auteur Jean-Michel Aupy (Le Livre Géant de la Laïcité) connaissait Wolinski et Tignous, disparus dans l’attaque de Charlie Hebdo. Il a pris sa plume parce que "des gens parlent de laïcité sans en faire la pédagogie. Beaucoup d’ouvrages sont édités mais restent destinés à l’entre-soi. Je voulais faire comprendre les fondamentaux de la laïcité pour les partager au plus grand nombre".
Ce livre concept, qui existe sous différentes formes (papier, expo, numérique) est diffusé chez des bailleurs sociaux dans plus de 80 villes "par les gardiens d’immeubles qui sont des agents d’influence remarquables, mais aussi par des mairies et des entreprises, comme EDF".

Les extrémismes se nourrissant de l’ignorance et s’appliquant à souffler sur les braises, le chantier devant nous est immense.

(1) À retrouver PAR ICI


Jean-Michel Chevalier