La géolocalisation des salariés : Une pratique strictement encadrée


Paroles d’expert


17 décembre 2020

Sur les six derniers mois, les plaintes déposées à la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), relatives au recours par un employeur à la biométrie, à la vidéosurveillance en entreprises, ou encore à la géolocalisation, ont connu une hausse de 15% par rapport à la même période en 2019. Notamment, le développement des véhicules et des objets connectés (téléphones portables, badges, montres etc…), en parallèle du
travail à distance des salariés, et en-dehors de l’entreprise, incitent les employeurs à davantage recourir à la géolocalisation.
Cependant, cette pratique reste strictement encadrée, et tout employeur doit veiller à être suffisamment informé avant d’en faire usage.
L’exercice du pouvoir de direction permet à l’employeur de recourir à un système de géolocalisation à l’égard de ses salariés.
Ce système offre la possibilité de collecter et d’exploiter un certain nombre de données à caractère personnel, susceptibles de servir aussi bien à contrôler l’activité de ses salariés, qu’à optimiser le fonctionnement de l’entreprise. Toutefois, un juste équilibre avec les droits des salariés concernés, et notamment leur droit à la vie privée, est impératif.
À ce titre, l’article L. 1121-1 du Code du travail rappelle que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".
C’est sur la base de cette disposition qu’est fondé le cadre légal et jurisprudentiel relatif à la géolocalisation.

Par Elodie Nésa Juriste et Me Sophie Gomila Avocat associé - Cabinet WABG Associés

1 >> La mise en place d’un dispositif de géolocalisation

Détermination de la finalité poursuivie

1 - Les finalités permettant le recours à un dispositif de géolocalisation
Selon la CNIL, un employeur ne peut envisager le recours à la géolocalisation "que pour des finalités déterminées, explicites et légitimes" (Délib. CNIL n°2015-165, 4 juin 2015). Ces finalités sont limitativement énumérées, et peuvent être :
- Le respect d’une obligation légale ou règlementaire ;
- Le suivi, le justificatif et la facturation d’une prestation de transport de personnes, de marchandises ou de services directement liée à l’utilisation du véhicule géolocalisé ;
- La sécurité de l’employé, des marchandises ou des véhicules dont il a la charge ;
- Le souci de mieux allouer des moyens pour des prestations à accomplir en des lieux dispersés ;
- Le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule, définies par l’employeur.
Aussi, et uniquement à titre accessoire, l’employeur peut avoir recours à la géolocalisation pour assurer le "suivi du temps de travail d’un salarié", lorsqu’il "ne dispose pas d’autres moyens" (article 2 de la norme simplifiée n°51 de la CNIL, délibération n°2006-067 du 16 mars 2006). En effet, "l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail (…) n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen" (Cass. Soc., 3 novembre 2011, pourvoi n°10-18.036 ; Cass. Soc., 17 décembre 2014, pourvoi n°13-23.645 ; Cass. Soc., 19 décembre 2018 pourvoi n°17-14.631).
Plus précisément, ce contrôle ne doit pas pouvoir "être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace" (CE, 15 décembre 2015, n°403776).

2- Les finalités pour lesquelles le recours à la géolocalisation est prohibé
A contrario, un employeur ne peut pas user d’un système de géolocalisation si la mise en place du système ne poursuit pas une des finalités susmentionnées.

En particulier, il est interdit à l’employeur de se servir de la géolocalisation pour :
- Contrôler le respect des limitations de vitesse par les salariés ;
- Contrôler un salarié de manière permanente, à savoir en-dehors de son temps de travail ;
- Contrôler un salarié disposant d’une liberté dans l’organisation de ses déplacements (VRP…) ;
- Suivre les déplacements des représentants du personnel dans le cadre de leur mandat ;
- Contrôler le temps de travail des salariés si un autre dispositif est envisageable.
En pratique, un représentant du personnel peut faire l’objet d’une géolocalisation, s’il dispose de la faculté de désactiver le système, lorsqu’il est amené à se déplacer pour l’exécution des fonctions liées à son mandat.
De même, les salariés doivent pouvoir désactiver ledit dispositif en-dehors de leur temps de travail, pour que la surveillance ne soit pas considérée comme permanente.
Dans de telles hypothèses, l’employeur conserve le droit de contrôler le nombre et la durée des désactivations, et de demander, le cas échant, des explications au salarié en cas d’abus

Réalisation d’une analyse d’impact

Avant l’entrée en vigueur du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données n°2016/679 du 25 mai 2018), l’employeur devait déclarer à la CNIL toute opération portant sur les données à caractère personnel des salariés, qu’il envisageait de réaliser.
Désormais, l’employeur n’a plus à procéder à une telle déclaration mais, en revanche, doit répondre d’un "principe de responsabilité". C’est pourquoi, et par souci de garantir les droits et libertés des salariés, il est conseillé à l’employeur de réaliser, préalablement à la mise en place d’un système de géolocalisation, une analyse d’impact.

Cette analyse d’impact devra contenir une description détaillée du dispositif envisagé, une évaluation de sa nécessité et de la proportionnalité de la mesure au vu de sa finalité, ainsi qu’une étude sur les risques liés à la sécurité des données et la manière dont l’employeur les appréhende.
Information des personnes intéressées

Dans un premier temps, l’employeur qui envisage la mise en place d’un système de géolocalisation doit veiller à apporter une information individuelle aux salariés concernés, notamment sur :
- L’existence du traitement et la finalité précise poursuivie ;
- Les catégories de données de localisation traitées ;
- La durée de conservation des données ;
- Les destinataires des données (l’employeur et/ou son représentant, et/ou le délégué à la protection des données) ;
- L’existence d’un droit d’accès, de
rectification et d’opposition, ainsi que leurs modalités d’exercice ;
- Le cas échéant, les transferts de données envisagées à destination d’un Etat non-membre de la Communauté européenne.

Note :
L’employeur peut transmettre ces informations par le biais du règlement intérieur ou d’un avenant au contrat de travail. Toutefois, il bénéficiera d’une flexibilité accrue s’il les communique via un document spécifique, tel une charte informatique, ou une note de service. Dans un deuxième temps, l’employeur doit procéder à l’information et la consultation des instances représentatives du personnel, dont notamment du CSE. Ce dernier doit bénéficier d’un délai et des informations suffisantes pour se prononcer de manière éclairée.

2 >> Protection des données à caractère personnel collectées

Dans la mesure où les données de localisation sont considérées comme des données à caractère personnel, l’employeur qui utilise un système de géolocalisation doit veiller à respecter les règles spécifiques qui découlent du RGPD (article 4.1 du RGPD).

La tenue d’un registre de traitement des données

Depuis la suppression de l’obligation de déclaration préalable du système auprès de la CNIL, il incombe à l’employeur de démontrer, en tant que responsable de traitement, qu’il agit conformément aux dispositions dudit Règlement européen.
En ce sens, l’employeur devra tenir, et maintenir à jour, un registre de traitement des données collectées sur ses salariés, en mentionnant notamment l’existence du système de géolocalisation et ses conditions de mise en œuvre.

Le respect du principe de minimisation des données

Une fois les données collectées, l’employeur doit les traiter de manière adéquate, pertinente et limitée au strict nécessaire par rapport à la finalité poursuivie.
Ainsi, et s’il souhaite exploiter ledit dispositif pour atteindre une autre finalité, l’employeur devra s’assurer d’en informer les salariés concernés. Si tel n’est pas le cas, les données obtenues par le biais de la géolocalisation ne pourront pas être utilisées par l’employeur.

Le respect des délais de conservation des données

De manière générale, les données de géolocalisation ne peuvent être conservées que pour une durée n’excédant pas ce qui est strictement nécessaire, au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.
À ce titre, la CNIL a pu considérer qu’une durée moyenne de conservation de deux mois était raisonnable.
Toutefois, et par exception, peuvent être conservées durant une durée maximale d’un an :
- Les données destinées à prouver la réalisation d’une prestation, lorsque cette preuve ne peut pas être rapportée par un autre moyen ;
- Les données destinées à conserver un historique de déplacements à des fins d’optimisation de tournées.
Aussi, les seules données relatives aux horaires, collectées dans le cadre du suivi du temps de travail, peuvent faire l’objet d’une conservation pendant une durée de cinq ans.

Garantir la sécurité des données

De plus, l’employeur doit s’assurer de garantir un niveau de sécurité des données suffisant, par le biais de mesures techniques et organisationnelles.
À cette fin, et lorsque la géolocalisation porte sur un véhicule, la CNIL recommande à l’employeur de prévoir :
- Un accès aux données uniquement réalisé à l’aide d’un identifiant et d’un mot de passe ;
- Une politique d’habilitation, de sécurisation des échanges et une journalisation des accès aux données et aux opérations effectuées ;
- Une étude de risques, permettant de définir les mesures de sécurité les plus adaptées au traitement des données de géolocalisation collectées.
En qualité de responsable du traitement, l’employeur est le garant de la protection des données personnelles de ses salariés, obtenues par le biais du système de géolocalisation installé.

En conclusion…


Si l’employeur dispose d’un pouvoir de contrôle de ses salariés important, en recourant au système de géolocalisation, force est de constater que le recours à la géolocalisation n’est pas sans risque.
En cas de manquement de l’employeur à ses obligations, les salariés peuvent se tourner aussi bien vers la CNIL, que vers l’Inspection du travail ou le Procureur de la République, pour que des sanctions soient prononcées.


Elodie Nésa Juriste, Me Sophie GOMILA Avocat au sein de (...) Elodie Nésa Juriste, Me Sophie GOMILA Avocat au sein de (...)