Nommer son business : de l’art... Et de la méthode


Economie


12 janvier 2021

La création d’entreprise est un océan de diversité. On y trouve autant de parcours que de projets. Si chaque expérience a ses singularités, toutes se rassemblent autour d’une même nécessité : désigner l’activité. Aucun entrepreneur ne peut faire l’économie de donner à son business le nom qu’il mérite. Ces quelques mots ou syllabes ayant vocation d’interface entre la structure et sa clientèle, il est primordial de les choisir avec soin.
La tâche peut être aussi délicate qu’elle est importante. C’est pourquoi l’UPE 06 a proposé à ses adhérents d’y voir plus clair en la matière.

Le 7 janvier, l’organisation interprofessionnelle les a donc conviés à écouter les conseils d’une spécialiste, lors d’un atelier digital consacré au nom de marque.
"Une marque, ce sont des éléments à la fois matériels et immatériels : de la promesse, un logotype, des personnes, une mission, des points de rencontre, une histoire, un manifeste, des odeurs, du son... C’est une représentation mentale qui va s’installer dans l’esprit des gens", explique Sophie Roux, cofondatrice et dirigeante de l’agence de création et stratégie de marque BrandSilver. "Et le nom de marque en est la pierre fondatrice". Il sera choisi pour longtemps et sera difficile à modifier.
Bien que déterminant, il doit être accompagné d’un logotype et d’une signature, "qui permettent de le nuancer et de l’enrichir. On attend parfois du nom de marque qu’il dise tout, mais ce n’est pas possible". Le logotype doit donc raconter autre chose, par exemple "ne pas dire seulement ce qu’on fait mais comment on le fait". Sans cette précaution, les deux éléments sont redondants. Et l’experte de parler alors de "pléonasme graphique".

Attention aux idées reçues !

Un autre écueil est à éviter au moment de piocher dans la typologie des noms de marque, qui peuvent être descriptifs, suggestifs, fantaisistes ou prendre la forme d’un acronyme. La première option est risquée. "On perd la valeur émotionnelle. Et puis en étant trop descriptif, on encourt le risque de ne pas être déposable. On ne peut pas s’approprier un monopole sur des mots du langage courant qui désignent notre activité". Chez BrandSilver, les acronymes n’ont pas la cote non plus. "Ils ne sont pas signifiants et ne permettent pas de développer un territoire imaginaire". C’est pourtant le choix retenu par le géant IBM. "Mais le temps et des budgets colossaux ont réussi à remplir un contenant a priori très vide", souligne Sophie Roux, qui préfère l’horizon de la suggestion. Elle a notamment fait ses preuves avec l’incontournable Amazon. A l’instar de la fantaisie, dont Apple est une parfaite illustration.
Bien nommer c’est aussi oublier quelques idées reçues selon lesquelles l’appellation retenue doit être courte, facile à prononcer, tendance, en anglais et disponible en ".com". "En matière de nommage, il faut du talent, de la méthode et du travail, mais il n’y a pas d’astuces. Amazon, ce n’est pas particulièrement en anglais. Lufthansa et Facebook ne sont pas courts. Napapijri, ce n’est pas facile à prononcer. Et être dans la tendance, c’est prendre le risque de dater le nom, alors qu’il doit être pérenne et échapper au temps".

Une agence pour sécuriser la démarche

La devinette de BrandSilver. Quelle est la plus ancienne marque sur la planète ? Réponse : Beretta. La fabrique d’armes italienne a cinq siècles d’existence. Et d’appartenance à la même famille. DR

Quand on en a les moyens, faire appel à une agence spécialisée est un gage de sérénité en vue de protéger son savoir-faire et "créer de la distance avec la concurrence". Mais l’entrepreneur demandeur sera gagnant en s’imposant un minimum d’implication en amont. "Il doit se poser les bonnes questions. Qu’est-ce qui doit être nommé ? Quel est le secteur d’activité ? Qui sont les concurrents ? Qui sont les clients ?". Sophie Roux répertorie une dizaine de pistes de réflexion qui doivent précéder la sollicitation d’un professionnel du nommage. Et autant de principes fondamentaux à garder à l’esprit lorsque ce dernier revient vers son client avec des propositions : ne pas résister au changement, ne pas chercher le coup de foudre, privilégier le consensus et non pas le compromis, ne pas bloquer sur le ".com", avoir de l’audace et accueillir l’inattendu...
En ce sens, la spécialiste énonce une règle d’or : "Ne jamais demander l’avis de son entourage. Les gens aiment ce qu’ils connaissent déjà, ils ne sont pas au fait du business en question, ils n’ont pas été associés au processus créatif...". Et d’enfoncer le clou : "Si le comité directeur incarné par Steve Jobs avait dit à son entourage qu’il allait appeler sa société d’informatique "Pomme", il lui aurait répondu : vous êtes complètement fou !".
Susciter l’adhésion à un nom de marque, c’est le travail de l’agence, dont la mission est également primordiale au plan réglementaire. "Nous travaillons en tandem avec des juristes qui sont des conseils en propriété intellectuelle". Leur rôle : effectuer les recherches de similitude et d’antériorité mais aussi les dépôts appropriés pour sécuriser la démarche du chef d’entreprise. "C’est le moment de vérité", qui valide le processus créatif ou lui impose des retouches.
Le recours à des experts du nommage a bien sûr un coût, qui varie grandement avec la nature des dossiers. "Prévoir 2 000 euros pour une entrée de projet", indique Sophie Roux, en indiquant que le prix dépend des droits, des enjeux, du périmètre d’exercice... "Le budget est un critère déterminant, car on n’invente pas l’argent". Mais selon elle, l’opération doit aussi être considérée tel un investissement. Et le reflet de "la valeur que l’on attribue à cette pierre fondatrice".


Jean PREVE