Vallées - Laure Carladous : "la planification des marchés sera très importante"


Economie


26 janvier 2021

Le chantier de la reconstruction des vallées sinistrées s’annonce d’une ampleur inédite. La planification des marchés devrait donner aux entreprises azuréennes l’occasion de faire valoir leurs atouts, comme le pense Laure Carladous, présidente de la Fédération du bâtiment et des travaux publics des Alpes-Maritimes.

Quel rôle les entreprises du BTP locales ont-elles joué dans les heures qui ont suivi le passage de la tempête ?
- Elles ont géré l’urgence. Et leur rôle a été d’autant plus important qu’il n’y avait plus de moyens d’accéder aux zones sinistrées. Elles avaient leurs engins sur place, ce qui leur a permis d’aider les familles en détresse, d’empêcher des dégâts supplémentaires, de dégager les voies de circulation, d’effectuer les premiers travaux de confortement, de rétablir l’eau potable... Toutes ces interventions ont été réalisées via les marchés à bon de commande, c’est le cadre légal par lequel la Métropole et les autres collectivités, mais aussi le SMIAGE ou encore la régie de l’eau, ont commandé des travaux rapides, sans la lourdeur administrative habituelle.

Pouvez-vous nous rappeler le principe de ces marchés à bons de commande ?
- Ce sont des marchés dévolus aux travaux d’entretien, par exemple sur les routes et les ouvrages. Ces interventions sont commandées sur la base d’un bordereau dans lequel sont définis les prix en fonction des prestations réalisées, en tenant compte d’un volume et d’une durée qui est généralement de trois ans. Il y a des montants maximums fixés, mais des dérogations sont possibles pour aller au-delà, comme ça a été le cas dans le cadre de la tempête Alex. Heureusement que cette souplesse existe pour faire face aux situations exceptionnelles.

La gestion de l’urgence a démontré l’importance de conserver un tissu économique bien réparti sur tout le territoire...
- Oui, car les entreprises des vallées ont à la fois des moyens disponibles immédiatement et une connaissance du territoire qui est un atout. Elles ont une vraie culture du risque qui est liée à leur ancrage local. Dans la Tinée et la Vésubie, certaines structures ont grandi avec le développement de ces vallées. Il faut qu’elles continuent à travailler localement, sinon ces endroits ne pourront pas revivre.

Un immense chantier de reconstruction s’annonce. Quelle part les entreprises azuréennes peuvent-elles en espérer ?
- Elles ont un savoir-faire lié à leur connaissance du terrain qui va les aider. Je ne pense pas que nous aurons des marchés à des hauteurs telles que les entreprises azuréennes ne pourront pas y répondre, d’autant qu’elles auront la possibilité de s’allier à travers des groupements. Le problème, c’est que si tous les marchés sortent en même temps, il n’y aura alors pas suffisamment de moyens chez nous.

Ce scénario est-il possible ?
- Je ne crois pas que nous allons nous retrouver face à 50 marchés à 10 millions d’euros chacun dans les trois mois. Il ne faut pas confondre urgence et précipitation. La reconstruction va nécessiter une longue phase de conception et de réflexion en termes d’aménagement. La planification des marchés sera très importante, elle devrait permettre aux BTP azuréen de bien travailler. Cependant, si l’intérêt général fait que certains travaux lui échappent, personne ne trouvera à redire à cette situation, car l’objectif premier est que les vallées retrouvent au plus vite un mode de fonctionnement normal. Ce que les entreprises locales vivraient mal, c’est de ne pas avoir de marchés correspondant à leurs capacités. Dans le respect de la légalité et de la saine concurrence évidemment.

Et le small business act ?
- Depuis quelques temps, nous travaillons beaucoup, au plan interprofessionnel, avec les collectivités, pour déterminer les éléments qui, en conformité avec le droit des marchés publics, permettent aux entreprises locales d’accéder à des marchés qui leur étaient auparavant inaccessibles. Cela passe par l’atteinte de certains degrés d’excellence.

Quel rôle votre fédération a-t-elle joué à l’issue de la catastrophe ?
- La solidarité dans nos métiers est connue et elle est réelle. Mais, plus largement, je veux d’abord souligner la réactivité collective, qui a été rapide, forte et efficace. Région, Département, Métropole, agglos, CCI, Chambre de métiers..., l’implication auprès des entreprises sinistrées s’est avérée extraordinaire en matière d’aide financière et de soutien humain. Tout a été fait pour que les choses avancent au moins mal pour tout le monde. Dans notre filière, des personnes qui se sont retrouvées sans travail ont pu être réemployées. Le BTP et ses organes, comme l’assurance SMABTP et la BTP Banque, ont eu une vraie réflexion, qui a aussi concerné notre fédération nationale, pour accompagner les professionnels en difficulté après le passage de la tempête.

La reconstruction est-elle une garantie d’embauche dans le BTP azuréen ?
- Il faut déjà souhaiter que les entreprises soient toujours là quand les chantiers arriveront, car il ne faut pas oublier que le BTP azuréen est confronté à de difficiles réalités. La crise sanitaire a créé un contexte d’attentisme et d’incertitude. Les chiffres des permis de construire sont inquiétants. La profession va devoir digérer 2020 et passer 2021. Pour envisager des embauches, il faudra une régulation du marché qui passera par le règlement des problèmes auxquels les entreprises de construction sont confrontées. Dans une région où le prix du foncier est très élevé, celui des travaux sert souvent de variable d’ajustement. Et il est trop bas pour que les entreprises puissent répondre aux prétentions salariales des personnes susceptibles d’être recrutées. Alors de l’activité pour le BTP azuréen, oui, mais à des prix corrects.

Propos recueillis par Jean Prève


Jean PREVE