Pascal Nougarede : "Nous avons des moyens pour soutenir notre économie"


Droit


5 février 2021

Installé le 18 janvier, Pascal Nougarede arrive à la présidence du tribunal de commerce de Nice dans un contexte économique particulièrement troublé par la crise sanitaire.

Selon ce pharmacien de 64 ans, les mois qui s’annoncent risquent d’être douloureux pour les entreprises, en particulier celles qui n’étaient pas en bonne santé avant l’épidémie. Mais il entend utiliser tous les outils à la disposition de la juridiction pour soutenir au maximum le tissu local.

Quelle est votre expérience au tribunal de commerce de Nice ?

- J’ai d’abord été juge consulaire en contentieux général à partir de 2004, puis j’ai progressivement pris davantage de responsabilités en devenant juge commissaire, président de chambre du conseil et enfin vice-président.
À ce poste l’an dernier, je m’occupais des procédures collectives.

Qu’est-ce qui vous a motivé à briguer la présidence ?

- Le président sortant, Jean-Marcel Giuliani, terminait en 2020 son mandat de quatre ans et, pour des raisons professionnelles, ne souhaitait pas se représenter. Nous travaillions en osmose et prenions les décisions ensemble, je m’étais donc préparé à lui succéder, un peu dans une suite logique. J’étais le seul candidat. J’ai été élu le 22 octobre et j’ai été installé dans mes fonctions le 18 janvier lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal.

Vous avez vécu cette singulière année 2020 de l’intérieur. Comment le tribunal de commerce de Nice a-t-il fonctionné ?

- L’année a débuté difficilement en raison de la réforme des retraites, qui a provoqué une grève des avocats. En conséquence, tout ce qui relève du contentieux général s’est retrouvé bloqué pendant les trois premiers mois. Puis sont arrivés l’état d’urgence sanitaire et le confinement du 17 mars, qui ont entraîné la fermeture physique du tribunal. Après la sortie des premières ordonnances Covid le 27 mars, nous avons pu travailler en visioconférence, à juge unique, afin de traiter les affaires urgentes. Le téléphone a fonctionné, les mails également et le personnel a pratiqué le télétravail. Nous avons repris les audiences avec les magistrats, toujours en visioconférence, à partir de mai puis les audiences physiques en juin pour les procédures collectives. Pour le contentieux général, les dossiers ont été traités par les chambres concernées dans l’été et nous avons retrouvé un fonctionnement normal à partir de septembre.

Quel bilan dressez-vous ?

- 2020 s’est avérée une année paradoxale pour plusieurs raisons. Le contentieux a beaucoup baissé, d’abord à cause de la grève des avocats, je le répète. Mais aussi parce que nous mettons l’accent sur les modes alternatifs de règlement des difficultés par le biais d’un magistrat qui étudie tous les dossiers en amont pour essayer de concilier au maximum les parties. Les résultats sont significatifs, ce qui diminue le contentieux. Enfin, la crise sanitaire a bien sûr eu une incidence.
En ce qui concerne la santé économique, les statistiques nous montrent un recul des ouvertures de procédures collectives de 38% par rapport à 2019 à Nice. Nous sommes dans la moyenne des autres juridictions en France qui, à quelques rares exceptions près, ont également enregistré une baisse de 30 à 40%. Compte tenu des difficultés liées à la Covid, nous pouvions nous attendre à davantage de défaillances d’entreprises.

Quelle est votre analyse de ces chiffres ?

- Les entreprises ont été mises sous perfusion. Très rapidement, l’exécutif a pris des mesures de soutien de l’économie que nous ne voyons, à ma connaissance, dans un aucun autre pays en Europe. Avec les ordonnances du printemps, les délais des procédures ont pu être
allongés de trois mois, les dirigeants ont pu bénéficier d’une prime de 1 500 euros, du report des cotisations sociales, du fonds de solidarité, d’une franchise de six mois mise en place par les banques pour les prêts professionnels ou encore des prêts garantis par l’État, qui dans certaines circonstances ont servi à rattraper des manquements datant d’avant la crise.
La vie naturelle des entreprises a été stoppée. Celles qui étaient mal en point avant la crise, et qui auraient dû défaillir en liquidant, en étant assignées ou en déposant leur bilan, ont continué à exister artificiellement. Et elles ont encore les moyens d’attendre.

Jusqu’à quand ?

- J’ai le sentiment que, durant le premier semestre, le "quoi qu’il en coûte" va opérer grâce à l’augmentation et l’élargissement des aides accordées aux structures fermées administrativement dans le cadre du fonds de solidarité. Sur le ressort du tribunal de commerce de Nice, qui s’étend jusqu’à Menton et au haut-pays, la saison estivale sera fondamentale. Si le tourisme est de retour, les entreprises pourront engranger un peu d’argent pour tenir. Mais si ne n’est pas le cas, le dernier trimestre de 2021 sera catastrophique et le premier trimestre de 2022 encore plus.

L’activité du tribunal au cours de ce mois de janvier n’est donc pas encore révélatrice...

- Non, car nous avons eu très peu d’assignations en décembre et les institutionnels comme l’Urssaf, les caisses sociales ou le Trésor public les ont arrêtées. Nous sommes toujours en négatif de 30% sur l’ensemble des procédures par rapport à 2019, qui est la dernière année sur laquelle nous pouvons nous baser. En janvier, la structure des procédures a été inversée avec - 63% de redressements judiciaires et + 11% de liquidations.
Dans quels secteurs la casse sera la plus importante ?
- Naturellement, là où il y a des fermetures administratives, notamment dans la restauration. Ne pourront se satisfaire du fonds de solidarité que les entreprises qui étaient viables avant la crise. Mais il faut s’attendre à un effet domino qui va toucher les structures restées ouvertes mais dépendant de celles qui ont dû fermer, comme par exemple les blanchisseurs, les fournisseurs... Le transport, qui est privé de tourisme, sera également impacté.

Avez-vous pris des mesures pour anticiper l’afflux prévisible des procédures ?

- Nous sommes passés de cinq à sept juges commissaires, qui sont des juges uniques, pour suivre les procédures collectives. Je veux axer ma présidence sur la formation des nouveaux magistrats, que nous allons intensifier pour que les décisions soient rendues le plus rapidement possible.

Quels conseils donnez-vous aux chefs d’entreprise en difficulté ?

- En matière de conciliation, les ordonnances du 20 mai ont donné des pouvoirs au président, qui peut porter à dix mois le mandat, contre quatre mois renouvelables un mois en temps normal. Il a aussi la possibilité de bloquer les créanciers et d’octroyer des délais de grâce. Cette conciliation représente une sorte de procédure collective light pour donner de l’air à une société le temps de négocier un accord. Autre conséquence de ces ordonnances, il est désormais envisageable d’augmenter de deux ans les plans de redressement et de sauvegarde. Je veux dire aux chefs d’entreprise de ne pas avoir peur de venir au tribunal de commerce, devant la chambre de prévention ou devant le président, pour se renseigner sur les solutions susceptibles de les aider. Nous utiliserons tous les moyens à notre disposition pour soutenir notre économie.
Propos recueillis par Jean Prève


Jean PREVE