La crise sanitaire ? Les milliardaires en font leur affaire


Economie


5 février 2021

Le rapport d’Oxfam pointe le creusement des inégalités riches/pauvres face à la crise

Il ne leur aura fallu que neuf mois pour se remettre des symptômes financiers de la Covid-19. C’est ce qu’affirme l’ONG Oxfam, qui note que la pandémie a même enrichi les milliardaires.

Il ne fallait pas s’attendre à un autre son de cloche de la part d’Oxfam (Oxford Committee for Famine Relief). Cette ONG, structurée en une vingtaine de fédérations à travers le monde (dont une en France dirigée par l’ex-ministre de François Hollande Cécile Duflot), a vocation à mobiliser "le pouvoir citoyen" pour "agir sur les inégalités qui mènent à la pauvreté". Régulièrement, elle alerte sur le fossé qui sépare les plus riches des plus démunis. Son dernier rapport, publié à l’occasion du Forum économique mondial de Davos (du 25 au 29 janvier), aborde inévitablement les conséquences de la crise sanitaire. Selon l’organisation, la pandémie n’a pas altéré la fortune des 1 000 milliardaires les plus riches de la planète, puisqu’ils ont réussi à la reconstituer au niveau d’avant la Covid-19 en seulement neuf mois. Après la crise financière de 2008, il leur avait fallu cinq années pour "remonter la pente".

Enrichissement

Cette facilité avec laquelle les plus fortunés, "un petit groupe composé en grande majorité d’hommes blancs", se sont joués de la crise a de quoi interpeler. D’autant que ces derniers ne se sont pas contentés de récupérer au plus vite les billes perdues. Ils ont aussi étoffé leur sac. Oxfam estime en effet que les 10 personnes les plus riches du monde, parmi lesquelles le Français Bernard Arnault, ont vu leur fortune croître de 540 milliards de dollars, soit quelque 445 milliards d’euros, depuis l’apparition du coronavirus.
Illustration des inégalités exacerbées par l’épidémie, "des centaines de millions de personnes ont perdu leur emploi et sont confrontées au dénuement et à la faim", écrit l’ONG. Et dans le même temps, les ventes de jets privés ont explosé en 2020 du fait de la réduction des vols commerciaux. Selon les calculs d’Oxfam, le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, "aurait pu, avec les bénéfices réalisés entre mars et août 2020, verser une prime de 105 000 dollars à chacune des 876 000 personnes" qu’il emploie aux quatre coins du globe. Les milliardaires ne doivent pas forcément leur fabuleuse résilience à des efforts d’ingéniosité et d’agilité. Ils ont avant tout bénéficié du système financier mondial et des politiques publiques visant à éviter un effondrement de l’économie. Les taux des banques centrales, particulièrement bas, permettent aux états d’emprunter sans difficulté pour financer leurs copieux plans de soutien. Des choix qui font grimper les cours boursiers, dans l’intérêt des plus riches.

Réactions

Intitulé "Le virus des inégalités", le rapport d’Oxfam recoupe des données d’origines diverses, comme une enquête annuelle du Crédit suisse ou des informations de Forbes et de la Banque mondiale. Si la méthodologie de l’ONG a déjà été contestée par le passé, ses dernières conclusions ont pu susciter des réactions plus consensuelles. Mais à droite aussi cette conséquence de la crise sanitaire peut faire réfléchir. Toujours au Sénat, Jean-François Husson, élu Les Républicains, y trouve "quelque chose d’immoral et d’amoral". Il pointe "un dysfonctionnement dans nos économies" et considère que les modèles actuels pourraient être repensés pour intégrer "le développement social et les enjeux écologiques". Au-delà des débats éculés sur le partage des profits, plus loin que les clivages liés aux vices et vertus d’un libéralisme qui a creusé les inégalités autant qu’il a contribué à élever le niveau de vie d’une grande partie de l’humanité, le rapport d’Oxfam nous en apprend un peu plus sur la pandémie. Si elle a bouleversé notre quotidien, accéléré la numérisation de la société, servi de terreau à l’innovation..., la Covid-19 n’a finalement pas encore fait naître ce "monde d’après" que d’aucuns ont peut-être un peu trop vite annoncé...


Jean PREVE