Le Fisc prêt à traquer les fraudeurs sur les réseaux sociaux


Droit


23 février 2021

Le décret fixant les modalités de surveillance de certains sites internet vient d’être publié. L’administration fiscale et les Douanes disposent d’une nouvelle arme contre la fraude.

Surveiller internet et les réseaux sociaux pour lutter contre la fraude. L’idée n’est pas nouvelle. Elle est même devenue réalité en Italie voici dix ans à travers un contrôle opéré sur Facebook pour le compte du système de protection de santé. En France, cette détection des fraudeurs est dans les cartons depuis le vote de la loi de finances pour 2020, dont l’article 154 autorise le Fisc et les Douanes à la pratiquer. Le décret sur les modalités d’application de cet article a été publié au Journal officiel le 13 février. Pour l’administration, une précieuse source d’information s’annonce grâce aux "traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l’exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne". Photos de vacances, signes extérieurs de richesse..., certains contenus en ligne risquent de coûter cher...Du moins si les auteurs de leur publication ne sont pas dans une situation de parfaite régularité aux plans social et fiscal. Ces investigations en ligne s’inscrivent dans un dispositif expérimental et provisoire, qui doit durer trois ans. Pour éviter une atteinte à la vie privée, "seuls les contenus se rapportant à la personne qui les a délibérément divulgués et dont l’accès ne nécessite ni saisie d’un mot de passe ni inscription sur le site en cause peuvent être collectés et exploités", précise le décret.

Priorités

En scrutant Instagram, Le Bon Coin ou encore Airbnb, Bercy a établi une liste de priorités. Sa quête portera essentiellement sur la vente de produits et substances illicites, le travail non déclaré et les arnaques en matière de domiciliation à l’étranger. Les données collectées seront conservées un mois avant d’être détruites. Ce délai sera porté à un an pour les informations susceptibles de constituer un indice, en vue "d’un examen approfondi". Et plus encore pour celles utilisées dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale. Le début de ce test de trois ans ne présage pas de l’embauche massive d’agents chargés d’inspecter le web. La tâche sera bien sûr confiée à l’informatique, puisque l’administration va utiliser des algorithmes basés sur "des indicateurs qui ne sont pas des données à caractère personnel, tels que des mots-clés, des ratios ou encore des indications de dates et de lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés".
La surveillance ne sera donc pas réalisée au hasard. Lorsqu’elle avait été annoncée en 2018 par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des Comptes publics, son ambition était notamment de mieux cibler les fraudeurs, car seulement un contrôle fiscal sur quatre se soldait par un redressement. Ce qui veut dire que la démarche constituait une nuisance injustifiée dans 75% des cas...

Constitutionnel

En puisant dans l’incommensurable réservoir d’informations abrité par le web et les réseaux sociaux, les pouvoirs publics ont fait surgir le chiffon rouge de l’atteinte à la vie privée. Mais aussi intrusive qu’elle puisse paraître pour certains, l’initiative a très vite reçu une validation juridique. La légitimité de la lutte contre la fraude a ainsi été validée par le Conseil constitutionnel il y a plus d’un an. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait pour sa part demandé des garanties pour "préserver les droits et les libertés des personnes concernées".
Les textes qui encadrent l’expérimentation s’y sont attachés. Une nouvelle ère de la lutte anti-fraude peut donc débuter, avec le recours à un arsenal numérique qui s’étoffe. Tel est l’air du temps. La proportion de contrôles fiscaux aujourd’hui réalisés grâce à l’intelligence artificielle (22%) en est une illustration, à l’instar de cette veille technologique des réseaux sociaux qui, à défaut de constituer pour le Fisc une arme de dissuasion massive face à la triche, doit lui permettre d’opérer des frappes chirurgicales.
Une promesse d’efficacité. Et sans doute le gage d’un avenir plus que triennal...


Jean PREVE