À l’épreuve de la Covid-19, l’économie 06 toujours en zone de turbulences


Economie


5 mars 2021

La CCI Nice Côte d’Azur et la Banque de France ont dressé leur bilan conjoncturel de 2020. Sans surprise, le recul de l’économie est inédit. L’incertitude pénalise toujours les entreprises.

>> Alpes-Maritimes : situation hétérogène

Les chiffres sont parfois joueurs, révélant des vérités insoupçonnées qui tordent le cou aux perceptions "au doigt mouillé" sur lesquelles se fonde, sans doute un peu trop, l’avis commun. Mais le 1er mars, au siège de la CCI Nice Côte d’Azur, ils se sont montrés d’un sérieux implacable, ne laissant pas la moindre place à la surprise. En révélant ce jour-là les résultats de l’habituelle enquête de conjoncture réalisée par la Chambre, Jean-Pierre Savarino a simplement permis d’apprécier, avec plus de précision, l’actuel positionnement de l’économie azuréenne sur l’échelle de la souffrance imaginée il y a un an par la Covid-19.
Aux côtés de Christian Delhomme, directeur départemental de la Banque de France, lui-même accompagné par deux de ses "lieutenants", le président de l’établissement consulaire s’est d’abord intéressé au moral des chefs d’entreprise, comparant les effets du premier confinement à ceux générés par d’autres événements pénalisants, comme les attentats de la Promenade des Anglais, en 2016, et le mouvement des Gilets jaunes, entre 2018 et 2019.

Jean-Pierre Savarino, président de la CCI. DR J.P

"Nous avons assisté à un spectaculaire décrochage de l’indicateur de l’appréciation de l’activité dès le début de 2020", a indiqué Jean-Pierre Savarino. Et malheureusement, le curseur est resté pointé sur -40 points à la fin du quatrième trimestre par rapport à l’avant-crise sanitaire. "C’est un niveau jamais connu depuis que nous réalisons ces analyses", qui se sont appuyées sur le sondage de 1 500 patrons maralpins, dont 90% sont à la tête d’entreprises de moins de dix salariés, conformément à la typologie du département.
Il faut noter que "la situation est hétérogène" en fonction des secteurs. "Les services accusent la plus forte baisse, en particulier les hôtels-cafés-restaurants impactés à -52,5% de leur chiffre d’affaires". Dans le commerce, toutes les branches ne sont pas logées à la même enseigne. Ainsi, alors que le détail alimentaire peut s’enorgueillir d’un résultat positif (+1,5%), l’équipement de la personne et l’automobile reculent respectivement de 7 et 8,5%.
Dans l’industrie aussi des contrastes sont observés, avec notamment une dégringolade dans le domaine des métaux (-18,5%) et une progression de 5,5% dans la chimie, soutenue par "une demande accrue en produits pharmaceutiques". Entre les deux, l’alimentaire reste dans le vert (+1%). Enfin, la construction, "élément majeur de notre territoire", a subi un coup d’arrêt brutal au printemps. "Mais le secteur a su prendre des mesures sanitaires qui lui ont permis un redémarrage rapide des chantiers". Si la reprise reste soumise à l’incertitude qui pèse globalement sur l’économie, le bâtiment pourrait bénéficier d’un regain d’activité dû à la reconstruction des dégâts de la tempête Alex dans les vallées.

>> La crainte d’un troisième confinement

Où se situent les principales difficultés rencontrées par les entreprises des Alpes-Maritimes au quatrième trimestre 2020 ? L’enquête de la CCI montre que c’est la baisse de la demande qui constitue leur écueil majeur, puisqu’elle concerne 69% des dirigeants interrogés. Plus d’un tiers d’entre eux (35%) ont également des problèmes de trésorerie et 18% sont soumis à des délais de paiement. Pour une grande part du tissu économique (67%), l’éventualité d’un troisième confinement généralisé est perçue comme la plus importante menace qui pèse sur le développement. "Le confinement du week-end a accentué les difficultés". L’incertitude, qui s’aggrave selon le président Savarino, et le climat anxiogène actuel ont évidemment des conséquences sur le moral des chefs d’entreprise. "Un sur deux n’a pas confiance en l’avenir".

>> Reprise : des chiffres et des lettres

La Banque de France envisage une hausse du chiffre d’affaires de la construction à hauteur de 5% dans la région en 2021. DR J.P

"La durée de cette crise, inédite, ne nous permet pas encore d’apprécier le schéma de la reprise". Et Jean-Pierre Savarino d’évoquer trois hypothèses : "Sera-t-elle en "V", chute brusque suivie d’un rebond rapide ? En "U", avec un creux qui dure et une reprise marquée par la suite ? Ou en "L", pire scénario, donnant une récession qui se transforme en dépression ?".
À l’échelle régionale, la Banque de France se fait cependant une idée des semaines et mois à venir. "Bien que le contexte sanitaire et économique soit encore instable, les chefs d’entreprises anticipent une amélioration de l’activité qui ne compensera que partiellement le recul observé en 2020. Une hausse des chiffres d’affaires est attendue dans les services marchands (+7,3%), dans l’industrie (+6,2%) et dans la construction (+5,1%). Cette évolution serait soutenue par un effet rattrapage, mais aussi par une reprise de la demande intérieure et, dans une moindre mesure, des exportations".

>> Le bassin grassois plus résistant

Le pôle des arômes et parfums, un atout pour le bassin grassois. DR J.P

Tous les bassins économiques des Alpes-Maritimes ont été impactés par la crise sanitaire. Dans le Mentonnais et le secteur cannois, les chiffres d’affaires ont respectivement chuté de 23 et 22%. Dans la plaine du Var, les environs d’Antibes et dans le bassin de Nice, le recul a atteint 16%. "Le bassin grassois s’en est relativement bien sorti", a détaillé le président de la CCI, avec seulement 7% de baisse. "C’est une habitude, grâce au pôle arômes et parfums". Cette zone géographique est aussi celle qui a le moins souffert en termes d’emploi (-3,5%). À Cannes, touchée par les difficultés de l’événementiel et du tourisme, les dégâts sont plus marqués : -8,5%.

>> Les services à la peine dans la région

L’enquête annuelle de la Banque de France, réalisée en janvier auprès d’un échantillon de 1 500 entreprises (160 000 salariés) représentatives du tissu économique de la région, montre que les services marchands sont les grands perdants de la crise sanitaire en Sud PACA. Et Joseph Bruno, chef du service des banques et entreprises à la succursale départementale, de confronter le climat des affaires de la crise financière de 2008 à celui de 2020. Trois phénomènes caractérisent ce dernier : "la soudaineté de la crise", mais aussi "sa violence", alors que les chefs d’entreprise étaient encore optimistes peu de temps avant l’apparition du coronavirus, et le pessimisme des dirigeants, qui a été "plus prononcé dans la région qu’au niveau national".

Même en plein été, l’activité touristique a fortement chuté dans la région. DR J.P

Dans ce secteur, "à partir du début de la crise, à aucun moment nous n’avons eu un niveau d’activité normal, y compris durant les mois d’été". Il a chuté de 66% en mars et de 54% en avril, des chiffres plus sévères que la moyenne observée dans le pays. "À la fin de l’année, compte tenu des restrictions décidées en octobre, la perte d’activité se situait encore à -19%".
Particulièrement à la peine, les filières touristiques se sont quasiment retrouvées à l’arrêt au printemps 2020 (-98% en avril). Et même en plein été, elles sont restées loin de leur niveau de 2019 (-40% en juillet et -31% en août). Il est aisé d’appréhender les effets de ces résultats sur l’économie régionale quand on sait que le tourisme représente 14% du PIB de Sud PACA et 9% de ses emplois (13% dans les Alpes-Maritimes), soit un taux supérieur à celui de la France (6%).
Au final, les services marchands, qui constituent le poumon économique de la région, ont abandonné 11% de leur chiffre d’affaires l’an dernier (-9% en France), les exportations se contractant même de 22%. Dans la filière de l’événementiel, la baisse a atteint 19%.
À noter que le bâtiment a fait un peu mieux (-9,3%) et que l’industrie est apparue comme le secteur le plus résilient (-7,4%) au plan
régional (seulement -4,2% à l’export).

>> Emploi : les aides de l’État ont limité la casse

C’est l’un des paradoxes de la crise. Alors que tous les indicateurs économiques sont orientés de façon spectaculaire à la baisse, l’emploi a bien résisté grâce aux aides de l’État,
notamment le dispositif de chômage partiel. à la Banque de France comme à la CCI, on a souligné cet effort public qui a permis aux entreprises de ne pas "gâcher" les compétences à leur disposition. "Mais pour combien de temps ?", s’est interrogé Jean-Pierre Savarino. à l’échelle régionale, l’emploi tertiaire n’a
reculé que de 1,3%. Dans la construction, le bilan s’est avéré un peu moins bon (-2,8%) en raison du non-renouvellement de CDD et de contrats d’intérim. Enfin, l’emploi industriel a réussi la performance de rester stable (+0,2%). Pour la Banque de France, les trois secteurs devraient embaucher en 2021. Certes, modestement, puisque des progressions respectives de 1%, 0,4% et 0,2% sont entrevues. Mais personne ne s’en plaindra...

>> Les investissements en panne

La crise a inévitablement provoqué un fort repli des dépenses d’investissement des entreprises de Sud PACA. Dans les services, il a été particulièrement significatif (-35%), s’effondrant même de 46% dans le secteur du transport et de l’entreposage. Dans l’industrie, la Covid-19 a également engendré un sérieux coup de frein (-18%), avec à nouveau une baisse spectaculaire sur les matériels de transport (-56%). Enfin, les investissements ont reculé de 9,4% dans la construction.
Quid de 2021 ? Selon la Banque de France, "les dépenses d’investissement devraient être orientées sur une hausse mesurée dans l’industrie (+7,5%) avec des programmes de mises aux normes". Et d’estimer qu’un repli "de plus faible ampleur qu’en 2020 serait observé dans les services marchands (-15,3%) et dans la construction (-2,8%)".

En France, pas de retour à l’activité pré-crise avant le milieu de 2022

Christian Delhomme, directeur départemental de la Banque de France. DR J.P

L’aléa sanitaire et les mesures de confinement ont provoqué un décrochage plus fort dans la zone euro qu’aux États-Unis et en Asie du Sud-Est. Dans ce monde de croissance négative, la France a enregistré un recul du PIB de 8,3% en 2020. "Une chute jamais connue", souligne Christian Delhomme, directeur départemental de la Banque de France. Elle se situe entre les deux extrêmes européens représentés par l’Allemagne (-5,3%) et l’Espagne (-11%).
"L’activité est descendue très bas, à -36%. Et il nous reste 5 points à gagner pour retrouver le niveau de fin 2019". L’année 2021 ne suffira pas. "Selon nos prévisions, à l’échelle de tous les secteurs d’activité consolidés, la France va rester sur ce palier à -5% jusqu’au début du quatrième trimestre". Soit à peu près où elle se situait en octobre 2020. Le dernier trimestre devrait permettre de grignoter 2%. "Et seulement en 2022, trimestre après trimestre, l’activité regagnerait les 3 derniers points la ramenant au niveau de décembre 2019". Ces hypothèses de la Banque de France seront actualisées mi-mars pour tenir compte du contexte d’incertitude actuel. Mais les moteurs de la croissance sont connus. à leur premier rang figure la consommation des ménages, dont le pouvoir d’achat a finalement peu souffert et dont l’épargne s’est accumulée (entre 130 et 200 milliards d’euros), suivie de l’emploi et du taux de chômage, lequel devrait atteindre 11% prochainement.


Jean PREVE