Restrictions sanitaires et pertes d’exploitation : l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution rappelle les assureurs à l’ordre


Paroles d’expert


30 mars 2021

La pandémie de Covid-19 qui sévit depuis un an a entraîné son lot de questions juridiques à l’instar du prolongement de l’état d’urgence sanitaire ou du refus des assureurs d’indemniser les pertes d’exploitation de leurs assurés. Ce refus est au cœur d’une dispute entre non-assurabilité de la pandémie et pertes d’exploitation sans dommages éligibles ou non à une indemnisation. L’avis de L’ACPR pourrait faire basculer les décisions de justice en faveur des assurés, à l’image de ce qui se noue Outre-Manche. Le cabinet Grenier Avocats livre son éclairage.

L’état d’urgence sanitaire a connu peu de répit depuis mars 2020. Aujourd’hui, la survie de nombreux établissements sous fermeture administrative au nom des restrictions sanitaires est en jeu. Pour retrouver du souffle, de nombreux commerçants et restaurateurs espèrent compter sur
l’indemnisation de leurs pertes d’exploitation sans dommages par les assureurs. Serait-il légitime qu’ils aient gain de cause ?
De nombreux commerçants et restaurateurs ont reçu une fin de non-recevoir quand ils se sont tournés vers leur assureur pour demander l’indemnisation de leurs pertes d’exploitation sans dommages.
En effet, certaines polices d’assurance prévoient une clause d’exclusion de garantie des pertes d’exploitation de l’assuré. Cette clause stipule qu’il n’y a pas d’indemnisation à charge de l’assureur si, à la date de la fermeture administrative de l’assuré, au moins un autre établissement fait l’objet d’une même fermeture administrative, pour la même cause, dans le même département*. Dans le cadre des restrictions sanitaires qui ont affecté des pans entiers du commerce physique à l’instar de la restauration ou de l’hôtellerie, cette clause a joué un rôle de premier plan.

Or, cette exclusion contreviendrait à l’article L. 113-1 du Code des assurances, au titre duquel une telle clause doit être « formelle et limitée ». En l’espèce, toute la difficulté repose sur l’interprétation de la nature formelle et limitée de l’exclusion. Dans le contexte actuel de pandémie, cette ambiguïté rendrait critiquable l’application de la clause d’exclusion de garantie des pertes puisque, conformément aux dispositions l’article L. 133 2 du Code de la consommation, les clauses des contrats des assureurs s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable à l’assuré.

Une ambiguïté dans les clauses de contrat

L’application des clauses d’exclusion s’est donc retrouvée au cœur des débats des nombreuses actions portées en justice par les assurés pour obtenir l’indemnisation de leurs pertes d’exploitation. Cela a donné lieu depuis plusieurs mois à une série de décisions contrastées : d’une juridiction à l’autre, les tribunaux peinent à trancher définitivement en faveur d’un camp, que ce soit celui des assureurs ou des assurés.
Qu’en pense le gendarme des assureurs ? L’ACPR a fait entendre sa voix via une enquête en juin 2020 sur les garanties pertes d’exploitation** aux termes de laquelle elle demande que les clauses ambiguës concernées
soient clarifiées.
L’Autorité précise en outre que, dans les cas où les clauses contractuelles ne permettaient pas de conclure avec certitude à une absence de garantie, seule une interprétation du Juge serait de nature à lever toute incertitude si les assureurs concernés, en cas de doute, n’interprètent pas le contrat en faveur de l’assuré.
Pour la première fois, les résultats de l’enquête de l’ACPR viennent d’être invoqués par un juge pour motiver son interprétation de la clause ambiguë d’exclusion de garantie en faveur de l’assuré.

Ce jugement rendu par le tribunal de Nice le 13 janvier 2021 est susceptible de créer un précédent jurisprudentiel.
Cette décision ne manque d’ailleurs pas de faire écho à l’affaire britannique au cours de laquelle la plus haute juridiction du pays a statué en faveur des assurés.
En effet, le régulateur financier d’Outre-Manche, la FCA (Financial Conduct Authority), œuvre depuis des mois en faveur des entreprises désireuses de se faire indemniser pour pertes d’exploitation à la suite de la pandémie. Bataille remportée, puisque le 15 janvier dernier, la Cour Suprême britannique a franchi le pas en condamnant six assureurs à indemniser quelques 370 000 assurés au titre de leurs pertes d’exploitation.

Cette décision capitale et sans précédent de la plus haute juridiction britannique a fait peser un coût total d’indemnisation de près d’un milliard d’euros sur les assureurs concernés et devrait avoir des répercussions sur le reste du marché mondial de l’assurance.

Cependant, il parait glissant intellectuellement d’utiliser ainsi des publications d’une instance de contrôle qui émet des avis motivés et équilibrés en vue d’une meilleure compréhension et amélioration du marché. La vraie question qui est celle de l’assurabilité de la crise actuelle doit continuer à être posée, et elle n’est pas tranchée à ce jour.

Des décisions de justice contrastées une brèche s’ouvre pour contraindre les assureurs à indemniser ?


Références
* Certaines polices d’assurance stipulent : « sont exclues les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au
moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de
l’établissement assure, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique
 ».

** Selon les résultats de l’enquête de l’ACPR qui a analysé 220 contrats différents en juin 2020, 93,3 % des contrats ont une couverture
COVID 19 non garantie, 2,6 % une couverture COVID 19 garantie, mais 4,1 % ayant des clauses contractuelles ne permettent pas de
conclure avec certitude à une absence de garantie.


Valérie Noriega