Bail commercial, loyers & COVID : rejet de l’exception d’inexécution et de la force majeure


Paroles d’expert


6 mai 2021

Bailleurs et locataires commerciaux sont particulièrement impactés par cette crise sanitaire du Covid-19. Nombreux sont les locataires qui soutiennent que cette crise constitue un cas de force majeure sur le fondement de l’article 1218 du Code civil, les exonérant de payer leurs loyers commerciaux.
Or tel n’est pas le cas. Explications.

Par Maître Isabelle de Flogny, Avocat au Barreau de Grasse AREP Center 1 Traverse des Brucs 06560 Valbonne

Il convient en effet d’attirer l’attention des bailleurs et de leurs locataires sur les décisions récemment rendues en la matière et, notamment une nouvelle décision de première instance au fond (T. com. Lyon, 17-11-2020, aff. n° 2020J00420) sur la question de l’exigibilité des loyers pendant la période de fermeture d’un commerce en raison de la crise sanitaire. Cette décision vient confirmer les décisions antérieures notamment celle de la Cour d’appel de Grenoble du 5 novembre 2020 (n°16/04533).
Dans cette décision, le tribunal a considéré que la demande de suspension totale ou partielle des loyers n’est pas fondée et les loyers sont dus en totalité, malgré la fermeture administrative du commerce, dès lors que l’exception d’inexécution n’est pas opposable au bailleur et que les conditions de la force majeure ne sont pas remplies, le locataire devant prendre l’initiative de négocier.
Plus précisément, le tribunal de commerce a précisé que :
- L’exception d’inexécution n’est pas opposable au bailleur, la fermeture administrative n’étant pas en lien avec un manquement du bailleur qui aurait rendu le local inexploitable au regard de l’activité prévue au bail ;
- Aucune des deux parties ne peut se prévaloir de la force majeure, les trois conditions cumulatives nécessaires n’étant pas réunies. Le locataire ne démontre pas, en effet, une insuffisance de trésorerie qui l’empêcherait d’exécuter son obligation de débiteur, à savoir le paiement du loyer. En outre, la mise en place d’un fonds de solidarité et de mesures pour reporter ou étaler le paiement des loyers pour une catégorie d’entreprises exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences de la propagation du covid-19, démontre que le législateur ne reconnait pas le caractère de force majeure à la pandémie ;
- Les entreprises ne relevant pas de ce fond doivent donc, de leur propre initiative, négocier avec leur bailleur un aménagement pour le règlement des loyers.

Ainsi le tribunal est dans la droite ligne de ce qu’avait estimé la Cour d’appel de Grenoble dans sa décision précitée du 5 novembre 2020.
La Cour d’appel de Grenoble a en effet jugé dans cet arrêt que l’interdiction d’ouverture d’une résidence de tourisme, pendant une certaine période en raison de la crise sanitaire, ne permet pas au locataire, pour se soustraire à l’obligation de régler ses loyers, de soulever l’exception d’inexécution ou la force majeure.
Dans cette espèce, le propriétaire, qui avait consenti un bail commercial portant sur deux appartements à une société exploitante d’une résidence de tourisme, avait sollicité, notamment, la condamnation du locataire à régler une partie des loyers dus au titre du 1er trimestre 2020 et les loyers dus au titre du 2ème trimestre 2020.

Sur l’exception d’inexécution.

Le locataire avait opposé l’exception d’inexécution, le bailleur ayant, selon lui, manqué à son obligation de délivrance "puisque les mesures de confinement l’ont amené à cesser toute activité entre le 17 mars et le 2 juin 2020, les résidences de tourisme étant frappées d’une interdiction d’ouverture par les décrets du 11 mai puis du 20 mai 2020". La Cour a rejeté cet argument en précisant qu’"il ne peut qu’être constaté que le bail commercial n’a pas subordonné le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à aucun taux de remplissage. Il ne résulte d’aucun élément que l’appelant ait manqué à ses obligations contractuelles rendant impossible la location des lots et l’exercice par le preneur de son activité hôtelière".

Sur la force majeure.

Le locataire avait également soutenu qu’il "s’est trouvé devant un cas de force majeure, l’épidémie étant imprévisible en raison de la date de signature du bail, extérieure à sa personne et irrésistible en raison de l’absence de toute clientèle et des mesures administratives" et qu’il "s’est trouvé ainsi libéré de ses obligations pendant ce temps". La Cour a également
rejeté cet argument car "il n’est pas justifié par l’intimé de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers. Cette épidémie n’a pas ainsi de conséquences irrésistibles. En outre, ainsi que soutenu par l’appelant, si la résidence dans laquelle se trouvent les lots donnés à bail constitue bien une résidence de tourisme définie par l’article D. 321-1 du Code du tourisme, ainsi que l’a rappelé le bail commercial dans son exposé, l’article 10 du décret du 11 mai 2020 modifié le 20 mai 2020, tout en interdisant l’accueil du public dans les résidences de tourisme, a prévu une dérogation concernant les personnes qui y élisent domicile, de sorte que toute activité n’a pas été interdite à l’intimée, laquelle ne produit aucun élément permettant de constater que l’activité qu’elle exerce ne correspond qu’à la location de locaux d’habitation proposés à une clientèle touristique qui n’y élit pas domicile, pour une occupation à la journée, à la semaine ou au mois, comme prévu à l’article D. 321-1 précité".

Ainsi, au vu de ces décisions, la question essentielle ne serait pas pour le locataire de démontrer s’il y a ou pas force majeure pour tenter d’échapper à son obligation de payer des loyers commerciaux.
L’on peut penser que le contexte devrait inciter les tribunaux à aller au-delà de ce texte de l’article 1218 du Code civil sur d’autres fondements et, notamment, sur le principe de bonne foi qui devient une boussole de répartition des risques dans le contrat.


Me Isabelle de Flogny