Entreprises et entrepreneurs en difficulté : Il est vraiment conseillé d’anticiper


Economie


20 mai 2022

Au cours d’une table ronde organisée par l’association Entre Head sur les entreprises en difficulté, tous les intervenants ont insisté sur l’importance de la prévention.

«  Quand il n’y a pas plus de solutions, il y a toujours une solution ». François Briot, consultant spécialisé dans l’accompagnement des dirigeants en difficulté, a aussi été attaché parlementaire pendant six ans, pour Jean Lassalle, et c’est avec cette phrase qu’il résume son expérience auprès de l’homme politique. Sa citation a été reprise en conclusion par Bruno Valentin, conseil en communication et animateur de la table ronde d’Entre Head «  Entreprises en difficulté : comment passer le cap ? », qui s’est déroulée le jeudi 12 mai à l’Hôtel Aston de Nice, avec le soutien des Éditions Ovadia, de la Ville de Nice, de la CCI Nice Côte d’Azur, d’Apesa 06, de Direction Seniors, d’Itinéraires et de la Banque Delubac & Cie. François Briot, auteur de l’ouvrage «  Pour une nouvelle gouvernance des entreprises en difficulté, a relevé qu’il était primordial d’anticiper : « Le rôle que j’ai eu en tant que consultant, c’était surtout en amont d’accompagner les chefs d’entreprise. Le chef d’entreprise est tout seul et il a un environnement négatif. Souvent il ne prend pas la décision quand il devrait la prendre. Quand c’est bien pris en amont, il y a toujours des solutions », a ajouté le consultant, installé dans les Pyrénées-Atlantiques. En introduction, Bruno Valentin a admis que « la détection rapide de ces difficultés, voire leur anticipation, permet au dirigeant de prendre au plus vite les mesures qui s’imposent, de se faire conseiller, de se faire accompagner avant que le pronostic de pérennité de l’entreprise ne soit engagé ».

De gauche à droite : François Briot, Frédéric Guirauden, Ilan Niddam, Me Nathalie Thomas, Jean-François Etesse, Charlotte Lafeuillade, Bruno Valentin, Laurent Tissinié, Me Marielle Walicki et Frédéric Ovadia. ©S.G

77 % de réussite

Nathalie Thomas, administratrice judiciaire, a rappelé qu’au niveau national, le taux de réussite pour les procédures de prévention était de 77 %. Pour Jean-François Etesse, juge commissaire et vice-président du Tribunal de commerce d’Antibes de 2019 à 2021, « la prévention a pris beaucoup d’ampleur. On est incité à la mettre en place. Chaque tribunal la met en place comme il peut et comme il veut. Il n’y a pas d’uniformité. Pour que cela fonctionne bien il faut la combinaison de plusieurs éléments : que des juges soient volontaires et y consacrent du temps et que le greffe et le parquet jouent le jeu ». La prévention est également une priorité de la Chambre de commerce et d’industrie Nice Côte d’Azur, surtout depuis la tempête Alex et la crise sanitaire liée au Covid-19. « Pour sa deuxième mandature, le président Jean-Pierre Savarino a mis un accent tout particulier sur la prévention des risques d’entreprise  », a déclaré Ilan Niddam, élu à la CCI Nice Côte d’Azur, précisant que trois axes étaient développés : la prévention, avec Entre Head et le CIP 06 (Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises) ; la gestion de crise, avec le CIP et le GPA 06 (Groupement de prévention agréé) ; et l’accompagnement du rebond : avec l’association 60 000 rebonds « qui aide les entreprises à repartir ».

« C’est assez inquiétant »

Ilan Niddam est également délégué APESA 06, association qui accompagne les entrepreneurs en détresse psychologique. «  On a aujourd’hui 120 sentinelles, qui sont en capacité de détecter des souffrances psychologiques aiguës », a souligné Ilan Niddam. « On en reçoit énormément en ce moment, c’est assez inquiétant. On en reçoit à peu près deux par jour. Il y a des gens qui pensent au suicide à cause de leur boulot et cela n’est pas admissible ». L’élu à la CCI a rappelé l’existence d’une plateforme, www.prevention-entreprise.fr, permettant en 15 questions d’orienter rapidement la personne souhaitant être aidée. «  Quand tout nous accable, on se sent seul. Quand on est sorti de la souffrance, on a envie d’aider  », a confié Laurent Tissinié, fondateur d’Entre Head. La table ronde a aussi été l’occasion de mettre en avant une banque judiciaire, spécialisée dans l’accompagnement des entreprises en difficulté, la Banque Delubac et Cie. « Le personnel est formé à accompagner les chefs d’entreprise. Ce sont des professionnels qui ont une vraie culture de l’urgence  », a expliqué Frédéric Guirauden, directeur régional à Toulouse, qui remplaçait pour cette table ronde le directeur régional PACA, Julien Valot. « Le banquier classique va mettre le dossier au-dessous de la pile, il va considérer qu’il ne peut plus rien vendre à une entreprise en difficulté. Or Il y a des financements adaptés à chaque situation. Il n’y a aucune honte à être passé par des difficultés. Un dirigeant, qui est passé par des difficultés, a une expérience hors du commun  ».

Ne craignez pas les juges commissaires et les administrateurs judiciaires

Me Nathalie Thomas, administratrice judiciaire, Bruno Valentin dans le rôle de l’animateur et Jean-François Etesse, juge commissaire au Tribunal de commerce d’Antibes. ©S.G

Bruno Valentin l’a rappelé : "Le tribunal de commerce est une appellation qui fait toujours peur. Il y a tribunal déjà". "Nous sommes des chefs d’entreprise, il faut dédiaboliser le tribunal", a répondu Jean-François Etesse, juge commissaire au Tribunal de commerce d’Antibes. "On est bien placés pour aider les chefs d’entreprise, on connaît les mêmes difficultés. Quand on les reçoit en prévention, on n’est pas en salle d’audience, on n’a pas de robe. On discute à bâtons rompus, d’égal à égal, et souvent les chefs d’entreprise ressortent satisfaits, avec des perspectives. Les tribunaux de commerce interviennent sur trois domaines : les contentieux, entre commerçants essentiellement, les procédures collectives et la prévention. Nous sommes des chefs d’entreprise, des cadres dirigeants, nous intervenons bénévolement pour être utiles. Je pense que personne n’est à l’abri des difficultés. Quand on rencontre des chefs d’entreprise, on est aussi sensibles à leurs difficultés qui peuvent être aussi personnelles. Souvent on les ressent. Dans ce cadre-là, on présente les différentes associations qui existent, et parmi elles, il y a Entre Head, avec laquelle le tribunal d’Antibes a signé un partenariat, et APESA".

Procédures confidentielles

De son côté, Nathalie Thomas, administratrice judiciaire, a précisé qu’il ne fallait pas confondre les administrateurs judiciaires avec les mandataires. "Deux professions s’occupent du traitement des difficultés : les administrateurs judiciaires, qui s’occupent de l’accompagnement, de la restructuration, de la réorganisation d’entreprise et les mandataires qui s’occupent des liquidations, quand il n’y a pas plus de solutions, a-t-elle expliqué. On ne peut pas exercer les deux fonctions. Le rôle de l’administrateur judiciaire, c’est d’accompagner le chef d’entreprise".
Nathalie Thomas a insisté sur le fait que les procédures de prévention étaient confidentielles. "Elles ne font pas l’objet d’une publication au Kbis ou d’une publicité dans un journal d’annonces légales, c’est un atout majeur".

Témoignage : "J’avais très peur du jugement des autres"

Charlotte Lafeuillade ©S.G

Charlotte Lafeuillade, gérante de l’agence immobilière familiale Savi Esteve, a récemment traversé une période difficile. En 2020, elle a décidé d’acheter un autre portefeuille de gestion, qui appartenait à l’origine à sa famille. "Tout s’est enchainé", avec l’arrivée d’un nouvel enfant puis l’apparition du Covid. "Ces trois facteurs ont été déclencheurs de ma descente, bien que j’y étais déjà… On veut tellement s’en sortir tout seul. L’orgueil fait que l’on veut s’en sortir tout seul. Mon mari ne s’en est pas rendu compte. J’avais peur qu’on dise : la pauvre, elle est jeune, c’est une femme, elle a un deuxième bébé, elle n’a pas les épaules. J’avais très peur du jugement des autres. J’ai fait en sorte que personne ne le sache. Mais le chiffre a commencé à descendre, on a commencé à perdre des clients et j’ai commencé à sombrer. Je ne me retrouvais plus dans mon entreprise".
Elle s’est alors tournée vers l’association Entre Head en envoyant un SMS à Laurent Tissinié. "Je suis allée à cette séance sans trop savoir à quoi m’attendre. J’ai réussi à me livrer comme je pense que je n’aurais pas réussi à me livrer à d’autres personnes. Tout est sorti. J’ai tout déballé, ce qui allait et ce qui n’allait pas. Et en face de moi, j’avais des personnes très humbles, très bienveillantes, avec une écoute totale. Je ne me suis pas sentie jugée une seule fois. Je n’ai pas senti que je perdais en crédibilité parce que j’étais un chef d’entreprise en difficulté. Ils étaient réellement là pour m’aider moi, pas mon entreprise. Entre Head est une très belle association. Par la suite, j’ai décidé de devenir aidante pour pouvoir donner ce qu’on m’avait donné. Il ne faut pas se sentir faible, il ne faut pas avoir honte. Aujourd’hui je le dis avec une grande fierté : j’ai su rebondir. Mais j’ai eu la chance de me réveiller avant que cela ne pèse encore plus sur mon entreprise."

Contact : entre-head.com/
Contact : 06 09 53 63 63


Sébastien Guiné