Table ronde UIMM Côte d’Azur : « La clé de la transmission, c’est l’anticipation »


Economie


14 novembre 2022

De précieux conseils sur la transmission d’entreprise ont émergé de la troisième édition de la Soirée des Industriel(le)s engagé(e)s, organisée le 3 novembre par l’UIMM Côte d’Azur.

Marcel Ragni, président de l’UIMM Côte d’Azur et hôte de la soirée au siège de son entreprise à La Gaude, a rappelé en introduction tout l’enjeu de la transmission d’entreprise : « La moitié des entreprises à céder finissent par fermer leurs portes, faute de repreneurs ».
Selon une étude de l’Observatoire Sirius, publiée par la CCI Nice Côte d’Azur en décembre 2021, près de 25 000 entreprises des Alpes-Maritimes, dont le dirigeant a 55 ans ou plus, sont potentiellement à transmettre dans les années à venir. Cela représente 35 % du tissu économique azuréen. L’industrie est en pourcentage le secteur le plus exposé avec 41% des entreprises concernées en 2020 (soit 1 281 entreprises, représentant environ 14 000 salariés), contre 35% en 2011. Une fois ce constat posé, les participants à la table ronde, interrogés par la journaliste de La Tribune Laurence Bottero, ont exposé conseils et mises en garde pour que la transmission se fasse et qu’elle se passe bien. L’enjeu est de taille : des milliers d’emplois sont dans la balance pour l’industrie, plus de 100 000 tous secteurs confondus dans le département. « La clé de la transmission, c’est l’anticipation  », a assuré Marcel Ragni. «  J’ai pensé à la transmission depuis la prise de présidence de la société. Cela fait dix ans que je transmets. J’ai commencé très tôt à travailler et j’ai eu des responsabilités très tôt. J’ai toujours pensé à ça : si je disparais, qu’est-ce qui se passe ? », a poursuivi le dirigeant, qui a succédé à son frère au poste de président de l’entreprise Ragni en 2008. Au sujet de la période d’anticipation à prévoir, Me Hubert Evrard, avocat du cabinet ELEOM, spécialisé en droit des sociétés, indique que «  cinq ans est une bonne notion de temps » même si « on est plus souvent sur une notion de deux ans dans les dossiers qu’on est amenés à traiter  ».

Déterminer les objectifs

Pour le conseil, ce qui est très important c’est de « déterminer le plus rapidement possible les objectifs ». «  Souvent, le chef d’entreprise rencontre des difficultés à pouvoir ne serait-ce qu’approcher l’objectif qui est le sien. On réfléchit toujours de deux manières : la première, est-ce qu’on va se diriger vers une mutation à titre onéreux ou est-ce qu’on va se diriger vers une mutation à titre gratuit ? La seconde, est-ce qu’on sera dans la transmission à titre familial, avec des enfants qui peuvent poursuivre la mission des patriarches, ou est-ce qu’on pourra se diriger vers une cession à des tiers ? Il y a beaucoup d’options à mettre sur la table et c’est ce qui prend le plus de temps. Il ne faut pas se tromper. Dès le départ il faut choisir la bonne stratégie et les moyens qui permettront d’aller à la stratégie », a détaillé Me Evrard.

«  Il y a une étape qui est vraiment primordiale, c’est l’étape psychologique », a complété Frédéric Dubois, président du Directoire de Somudimec, société de financement créée en 1977 par l’UDIMEC (syndicat professionnel des industries de la métallurgie). « On ne décide pas de céder son entreprise du jour au lendemain, cela se réfléchit », poursuit M. Dubois. «  Souvent, dans l’expérience, les gens y arrivent trop tard. Il faut accepter de se dire qu’on ne sera plus aux manettes de l’entreprise et que quelqu’un d’autre prendra des décisions. C’est très difficile d’accepter cette phase et cela se prépare. La deuxième étape est l’organisation c’est-à-dire qu’il faut rendre l’entreprise transmissible. Il ne faut pas que le futur repreneur, si ce n’est pas quelqu’un de la famille, ait l’impression que la valeur de l’entreprise repose sur le chef d’entreprise. Il est très important de préparer le personnel et de faire monter les compétences. Il faut que l’entreprise puisse tourner sans le chef d’entreprise. On a ici un très bel exemple de transmission  », a-t-il ajouté en référence à l’entreprise familiale Ragni, spécialisée dans l’éclairage public et fondée en 1927. «  Malheureusement ça ne se passe pas toujours comme ça ».

Pour Maryse Magliocco, directrice commerciale des marchés spécialisés de la BPMED, il est nécessaire pour le chef d’entreprise d’avoir « un instant prolongé avec lui-même, qu’il se dise : qui je suis, où je vais et comment je vais faire ? Une entreprise, c’est plus qu’un patrimoine. Autour de ça, il y a de la psychologie donc cela veut dire qu’il y a de l’émotion et de l’irrationnel. Une fois qu’il a posé son instant avec lui-même, il ne doit pas hésiter à faire appel à ses partenaires qui l’entourent habituellement : sa banque, son avocat, son expert-comptable. Car ils ont à la fois un regard extérieur mais aussi intérieur puisque en tant que partenaires, ils le connaissent depuis longtemps ».

« Rendre tangible l’intangible »

Cette étape primordiale d’introspection est confirmée par Christine Pietri, de l’UIMM Côte d’Azur, qui a mis en place un parcours de formation pour les dirigeants souhaitant céder leur entreprise. « Durant ces sept journées, je travaille très en amont pour inviter les dirigeants à se poser les bonnes questions : où j’en suis dans ma vie ? Quelles sont les raisons pour lesquelles je transmets ? Comment l’histoire va-t-elle se poursuivre ? Je fais intervenir des experts et j’accompagne les dirigeants pour qu’ils se posent les bonnes questions et travaillent mieux après avec ces experts. Avant la cession, il faut rendre tangible l’intangible, rendre concret. On peut aussi inviter les anciens, qui ne tarderont pas à suivre le chef d’entreprise qui s’en va, à faire du tutorat avec les jeunes qui arrivent. La transmission se fait à plein de niveaux  ». Dans le cas de l’entreprise Ragni, l’accompagnement a été, et est toujours, important. « L’accompagnement, c’est surtout rassurant. Deux ans avant de s’en aller, mon frère m’a dit, ‘je vais m’en aller, tu vas prendre ma place’. Je savais faire du commerce mais je ne savais pas gérer la boutique. Ce n’était pas évident. Il m’a accompagné en me donnant de plus en plus de responsabilités. Plus tard, j’ai testé mes enfants pour voir s’ils avaient la capacité, sans pour autant qu’ils s’en aperçoivent. S’ils n’avaient pas été bons, on n’aurait pas misé sur eux », a confié Marcel Ragni. « La méthode Ragni c’est : Rien n’est acquis. Il faut prouver même si bien sûr, j’ai eu des avantages à être un Ragni. Je n’aurais peut-être pas été positionné à certains postes par exemple. Mais on a appris sur le tas », a confirmé Jean-Christophe Ragni, general manager du groupe. « On est passé par beaucoup de postes. Il faut se demander si on a les épaules, si on a envie d’y aller. Il faut en être sûr parce qu’il ne faut pas décevoir  », a souligné son frère Stéphane, directeur commercial. Autre étape clé abordée au cours de la soirée : celle de la communication. Quand parler de la transmission et à qui ? La communication avec les salariés est encadrée par la loi Hamon « qui oblige à communiquer assez tôt. Il y a un schéma bien encadré », a rappelé Me Evrard.
Quant aux fournisseurs et clients, « c’est plutôt dans la phase post-signature qu’on fait ce genre de démarches, avec la période d’accompagnement. C’est un juste équilibre à trouver », entre les obligations légales et les impératifs de confidentialité.

La Scop (société coopérative de production), une solution ?

« Dans l’absolu c’est bénéfique puisque c’est une solution de transmission. Malheureusement, les statistiques ne sont pas très favorables. Le taux de réussite en matière de Scop est très faible », prévient Me Hubert Evrard. Marcel Ragni explique avoir « beaucoup d’exemples de transmission qui ne se sont pas faites », notamment car « les bons ouvriers n’avaient pas l’esprit de patron ». « A un moment donné, il faut vraiment qu’il y ait un leader. Celui qui reprend doit vraiment avoir la volonté de devenir le leader et, surtout, avoir la reconnaissance de ses collègues ». « Être dirigeant c’est un métier. Faire un plan stratégique, cela s’apprend. Manager des équipes, cela s’apprend », rappelle Christine Pietri. Lionel Candy, directeur des engagements de Somudimec, précise que « ce qui est difficile pour les Scop, c’est la dimension financière. Mais il y a des outils qui existent avec des gens qui accompagnent financièrement ce type de reprise, comme le Crédit coopératif. Pour que cela fonctionne, il faut que ce soit anticipé, imaginé dès le début, c’est-à-dire avec une personne désignée comme le leader du projet —on ne parle pas de chef dans ce système—, qui a décidé de ne pas être majoritaire financièrement parlant mais qui fait ce choix d’être leader de la Scop et qui, in fine, prendra les décisions. Quand c’est prévu dès le départ et avec des moyens, cela peut marcher ».


Sébastien Guiné