Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel facilite le transfert de patrimoine


Paroles d’expert


28 décembre 2022

Faciliter la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

Par Me Julien Alquier, avocat en droit fiscal au barreau de Nice, chargé d’enseignement à l’Université Côte d’Azur, enseignant à l’EDHEC

En théorie, l’entreprise individuelle est confondue avec l’entrepreneur et n’a pas la personnalité juridique donc ne possède ni capacité juridique, ni patrimoine propre. Près d’un million d’entreprises individuelles, se sont créées en France en 2021 qui s’explique par la facilité de création de ce type de statut malgré les risques encourus par l’entrepreneur individuel d’engager ses biens personnels lors de son activité professionnelle.
Depuis plusieurs années, il existe différentes options pour l’entrepreneur individuel afin de protéger son patrimoine. Ainsi, le choix du régime matrimonial de séparation des biens, l’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels consacrée par la loi dite "Macron" du 06/08/2015 concernant la résidence principale ou la rédaction d’une déclaration notariée pour que les autres biens immobiliers soient rendus insaisissables par les créanciers professionnels ont facilité le choix de ce statut. Le législateur, au regard de l’intérêt grandissant pour l’entrepreneur individuel, a réformé ce statut en prévoyant la scission de plein droit de son patrimoine entre biens personnels et biens professionnels avec la loi 2022-172 du 14 février 2022. Autrement dit, il est désormais possible de rendre opposable aux tiers le transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel.

La faculté de céder à titre onéreux ou à titre gratuit l’intégralité de son patrimoine professionnel

La réforme du législateur est prévue principalement pour faciliter la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel qui souhaitera céder son activité à une autre personne ou à une société.
Il pourra ainsi lui céder l’intégralité de son patrimoine professionnel soit par donation soit vente ou apport en société, sans pour autant liquider ce patrimoine comme cela était nécessaire avant la réforme à travers des démarches plutôt complexes.
En cas d’apport en société, le recours à un commissaire aux apports est requis notamment quand le patrimoine professionnel est composé de biens constitutifs d’un apport en nature. Il est à noter que ce transfert universel du patrimoine professionnel ne pourra s’opérer que si l’entrepreneur individuel transmet bien l’intégralité des éléments qui le composent, c’est-à-dire les biens, droits, obligations et sûretés de l’activité professionnelle. Même un bail commercial comprenant une clause interdisant le transfert de ce dernier pourra être cédé au bénéficiaire du transfert universel. Cependant, ce transfert universel de patrimoine doit faire l’objet d’une publicité stricte de façon à en informer les créanciers de l’entrepreneur individuel qui pourront, le cas échéant, s’opposer au transfert.

Les formalités essentielles du transfert de patrimoine

Un décret et un arrêté publiés le 15 mai 2022 sont venus préciser les formalités permettant de rendre opposable aux tiers le transfert universel du patrimoine professionnel et spécifiant le régime de publicité et d’opposition applicables (Décret 2022-799 et arrêté ECOI2213035A du 12-5-2022 : JO 13 textes N° 5 et 11).
Mais aux termes d’un décret publié au Journal Officiel du 18 novembre 2022, les entrepreneurs ont désormais la possibilité de publier le transfert universel de leur patrimoine professionnel sous la forme d’une annonce dans un support habilité à recevoir des annonces légales comme votre journal des Petites affiches des Alpes-Maritimes. Cette publicité est essentielle car le transfert universel de patrimoine professionnel n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité (C. com. art. L 526-27, al. 5).

Le délai de publication de cette annonce est identique à celui de l’avis au Bodacc, c’est-à-dire un mois après la réalisation du transfert universel du patrimoine professionnel.

Cet avis doit contenir un certain nombre d’indications comme par exemple, s’agissant du cédant et du cessionnaire, les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité ou les activités professionnelles exercées, le code APE affecté, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le numéro Siren, etc.
De même, un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert ou, si ce dernier n’est pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties est également nécessaire comprenant la valeur globale de l’actif, la liste des sûretés dont bénéficie l’entrepreneur individuel et les montants des créances garanties par elles , la valeur globale du passif, la liste des biens du patrimoine professionnel grevés d’une sûreté et, pour chacun des biens concernés, la nature de la sûreté et le montant de la créance garantie (C. com. art. D 526-30 et A 526-7).

Il existe certaines spécificités comme les dettes relatives aux cotisations et contributions sociales nées à l’occasion de l’exercice professionnel de l’entrepreneur individuel qui ne peuvent pas faire l’objet d’un transfert universel de patrimoine professionnel (C. com. art. D 526-32).

Ces formalités sont nécessaires afin de sauvegarder les droits des créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de patrimoine professionnel, la réforme a institué à leur profit un droit d’opposition pour obtenir le remboursement de leur créance ou la constitution de garanties (C. com. art. L 526-28). Les créanciers ont ainsi la possibilité de réaliser leur opposition devant le tribunal compétent selon les règles de droit commun, dans le mois suivant la publication de l’avis de publicité (C. com. art D 526-31).


Maître Julien ALQUIER