Pouvez-vous présenter votre tableau à destination des chefs d’entreprise (publié en intégralité au format pdf ci-dessous) ?
Cet outil vise à expliquer aux chefs d’entreprise qu’il y a à leur disposition une boîte à outils dont ils peuvent se servir pour assurer le rebond de leur entreprise lorsque celle-ci rencontre des difficultés. Nous avons connu des difficultés très récentes qui ont trouvé leur origine dans la crise sanitaire et il est probable que les entreprises, à peine remises de cette crise sanitaire malgré les aides mises en place (PGE, exonérations, reports de charges), soient désormais confrontées à une nouvelle crise, une crise d’approvisionnement et énergétique. Et c’est maintenant que doivent être prises certaines mesures pour prévenir les difficultés que pourront rencontrer les entreprises face à ces nouveaux événements qui leur sont externes. Ont été intégrés dans le droit des entreprises en difficulté actuel des dispositifs qui ont fonctionné pendant la crise sanitaire et qui ne demandent qu’à être réactivés et utilisés pour prévenir les éventuelles difficultés des entreprises à un horizon de six mois, un an ou deux ans.
Quel est le bon moment pour agir ?
- Me Jean-François Tognaccioli, avocat au barreau de Nice et chargé d’enseignement à l’Université Côte d’Azur. ©S.G
- Le plus tôt possible, c’est-à-dire aux premiers indices de difficulté financière. Du retard dans le paiement des créanciers publics, du retard dans le paiement des fournisseurs doivent alerter le chef d’entreprise sur un risque plus ou moins lointain de crise et de défaillance. On sait que, comme en matière de médecine, la prévention réussit toujours beaucoup mieux que le traitement de la maladie. Il en va de même en matière de droit des entreprises en difficulté, ce que j’appelle maintenant le droit du rebond des entreprises. Nous cherchons à encourager toutes les prises de conscience du chef d’entreprise pour qu’il puisse, au bon moment, se saisir de ces outils pour tenter de prévenir les difficultés, voire de les traiter lorsqu’elles sont déjà présentes. La grande difficulté, c’est qu’il est souvent trop tard lorsqu’il se saisit de ces outils parce que la défaillance d’une entreprise est encore trop souvent assimilée à la faute de l’entrepreneur. Or, la plupart du temps, la défaillance ne provient pas de la faute de l’entrepreneur mais tout simplement d’un marché qui s’est contracté, d’un fournisseur qui a augmenté ses prix ou d’un client qui a cessé de nous solliciter. Il y a dans la vie d’une entreprise des accidents de croissance liés à de multiples facteurs qui sont totalement étrangers à l’idée d’une faute. Mon message est de dire aux chefs d’entreprise : vous n’avez pas commis de faute, il y a eu un accident de parcours dans la vie de votre entreprise et nous sommes là pour éviter qu’il conduise à la défaillance de votre entreprise. Et si jamais la défaillance est avérée, comment la traiter ? Les outils du livre VI du code de commerce sont là pour ça, en fonction du moment et de la nature de la difficulté à traiter. Plus on sera en amont plus on aura de chances. Quand on met en place des outils pour prévenir l’apparition de la difficulté, cela réussit huit fois sur dix. Quand la difficulté est déjà présente et qu’il faut la traiter, on a des chances de réussite qui tournent autour des 20 %.
Vers qui le chef d’entreprise doit-il se tourner ?
Il y a deux professionnels qui ont des compétences complémentaires pour établir un diagnostic de la difficulté : l’avocat et l’expert-comptable. Depuis que je fais ce métier, je considère que c’est vraiment la matière, celle du droit du rebond des entreprises, où les professionnels du droit et les professionnels du chiffre doivent collaborer. La plupart du temps, le chef d’entreprise ira voir d’abord son expert-comptable parce que c’est celui qui est au quotidien auprès du chef d’entreprise. Dans notre système, l’avocat n’a pas encore ce rôle de conseil permanent. Il est encore trop souvent considéré comme celui qui défend et pas comme celui qui conseille au quotidien, à la différence du droit anglo-saxon. Mais un expert-comptable, qui par définition n’est pas un professionnel du droit, saura ensuite s’entourer des services d’un avocat qui construira avec lui la solution pour le chef d’entreprise.
Propos recueillis par Sébastien Guiné.
Deux initiatives bienvenues mais très tardives
Me Tognaccioli met en avant deux initiatives en faveur du chef d’entreprise, indispensables aujourd’hui mais qui ont tardé à voir le jour.
La première est la prise en compte du risque assumé par l’entrepreneur individuel. Ce dernier était selon lui « le parent pauvre en matière de protection » et il a vu, avec la loi du 14 février 2022 son statut « largement amélioré ». « Désormais, par l’effet de la loi, tout entrepreneur individuel dispose de deux patrimoines : un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel affecté à son activité, avec un traitement différent des difficultés rencontrées. C’est une façon de donner les moyens d’assurer le rebond du chef d’entreprise ». L’avocat du Barreau de Nice remarque toutefois qu’il « a fallu attendre 2022 ».
« Comme il a fallu attendre 2013 et la création de l’association APESA (Aide Psychologique pour les Entrepreneurs en Souffrance Aiguë) par Marc Binnié, greffier en chef du Tribunal de commerce de Saintes, pour prendre en compte la souffrance psychologique du chef d’entreprise », relève-t-il. « Dans les PME, le premier capital est la santé du chef d’entreprise, sa santé physique et sa santé mentale. Dans notre bassin, il y a énormément de petites et de moyennes entreprises et cela ne sert à rien de sauver une entreprise si on ne se soucie pas de la situation de son dirigeant ».
Consulter LA BOÎTE À OUTILS DU LIVRE VI du code de commerce…
(Cliquez sur l’image ci-dessous pour accéder au tableau complet)
Sébastien Guiné