Droits d’auteur : la notion d’oeuvre collective au secours des employeurs


Droit


17 janvier 2013

Comment régler la délicate question des droits d’auteur des salariés-créateurs dans l’entreprise ? La cour d’appel de Paris a récemment apporté une réponse dans un litige opposant le célèbre joaillier Van Cleef & Arpels à l’un de ses dessinateurs.

La cour d’appel de Paris [1] s’est récemment prononcée sur la notion d’œuvre collective dans un litige opposant la société Van Cleef & Arpels, qui crée, fabrique et commercialise des produits de haute joaillerie et d’horlogerie, appartenant au groupe suisse Richemont à l’un de ses salariés ayant occupé, pendant de nombreuses années, la fonction de dessinateur.

La mission de ce dernier consistait à contribuer à la réalisation de dessins de joaillerie au sein de l’équipe de dessinateurs de l’entreprise, fonction qui l’avait conduit à être considéré comme le responsable de l’équipe de dessinateurs.

En 2004, il s’était vu proposer un contrat de travail afin de formaliser les relations de travail existantes, avec deux documents intitulés, l’un, « contrat de travail à durée indéterminée créateur/dessinateur » et, l’autre, « annexe du contrat de travail cession exclusive des droits d’auteur ». Il avait refusé de les signer, estimant que ces documents ne correspondaient pas à la réalité et comportaient des dispositions illégales concernant, notamment, la cession de ses droits d’auteur et l’interdiction qui lui était faite de revendiquer un quelconque droit d’auteur patrimonial ou moral sur les dessins dont il était l’auteur.

Licencié pour faute grave, et après avoir mis en demeure son employeur de cesser, dans le monde entier, toute reproduction, représentation et adaptation de ses dessins, le salarié avait saisi les prud’hommes afin de voir son licenciement jugé abusif. Il estimait être titulaire de droits d’auteur sur les dessins originaux qu’il avait créés sans en avoir cédé les droits au groupe Van Cleef & Arpels.

Les « codes génétiques » de l’entreprise

La société soutenait, pour sa part, dans le cadre du litige tranché en première instance par le Tribunal de grande instance de Paris [2], que le salarié ne rapportait pas la preuve de sa qualité d’auteur, faute pour lui de démontrer que les dessins qu’il revendiquait portaient l’empreinte de sa personnalité. Elle arguait également que ces dessins n’étaient que des contributions à des œuvres collectives dont les droits lui appartenaient. Et entendait démontrer que les dessins litigieux provenaient du patrimoine esthétique de la maison Van Cleef & Arpels, sur la foi de notes de traçabilité esthétique communiquées par ses soins et organisées selon des thèmes historiquement développés au sein de la maison, tels que les fleurs, nœuds, passants ou boutonnières. Elle invoquait ainsi les « codes génétiques » de la société, caractérisés par l’usage de formes le plus souvent figuratives, asymétriques ou inspirées de différents univers. Pour en déduire que le dessinateur s’était contenté de puiser son inspiration dans le fond d’archives de la société et de se conformer aux styles et aux codes esthétiques de la maison.

La Cour d’appel a admis que le travail de dessinateur du salarié s’inscrivait dans un cadre contraignant qui l’obligeait à se conformer aux instructions esthétiques de ses supérieurs hiérarchiques, dans le cadre du comité de création institué par l’entreprise, et à puiser son inspiration dans le fond d’archives de la maison.

Pour conférer aux dessins litigieux la qualité d’œuvre collective, la Cour d’appel relève que le salarié sollicitait systématiquement l’accord de ses supérieurs hiérarchiques pour valider sa production, qu’il retranscrivait fidèlement les observations qui étaient faites sur ses dessins et que les créations de joaillerie en résultant avaient toujours été divulguées sous le nom de l’employeur (les initiales du dessinateur coexistaient le plus souvent avec le tampon « copyright Van Cleef & Arpels ») ; ce qui tendait à caractériser l’existence d’une création dans le cadre d’un travail collectif associant de nombreuses personnes.

Une brèche ouverte

La Cour d’appel en déduit que chaque dessin du salarié ne constituait que la contribution particulière de celui-ci à une œuvre collective dont la finalité était toujours un modèle de bijoux, faute pour le salarié de justifier, pour chacun des dessins dont il revendiquait la paternité, qu’il disposait d’une réelle autonomie créatrice, ainsi que d’une liberté dans les choix esthétiques lui permettant de conclure qu’il était le seul titulaire des droits d’auteur sur ses dessins, en ce qu’ils reflétaient l’empreinte de sa seule personnalité.

L’ensemble des arguments ainsi repris a finalement conduit la Cour d’appel à débouter le salarié de ses demandes et à confirmer la titularité ab initio de la société Van Cleef & Arpels sur les droits relatifs aux modèles litigieux.

Cette décision ouvre une brèche dans le formalisme stricte exigé par le Code de la propriété intellectuelle au titre de la cession des droits de propriété intellectuelle, y compris sur des créations émanant de salariés.

Elle devrait permettre aux employeurs, dès lors que les conditions sont réunies, de recourir plus aisément à la notion d’œuvre collective, pour s’épargner les contraintes liées à la conclusion, par leurs salariés faisant œuvre créative, de contrats de cession de droits relatif aux œuvres créées.


Blandine POIDEVIN et Viviane GELLES, avocats