Réchauffement climatique : « Les architectes ont pris le sujet à bras-le-corps »


Economie


12 mai 2023

Corinne Vezzoni et Philippe Prost étaient les prestigieux invités de la CCI Nice Côte d’Azur pour une conférence de grande qualité sur l’architecture, jeudi 4 mai, au Campus Sud des métiers.

Les deux architectes de renom ont fait part de leurs conceptions du métier et témoigné des défis qui s’imposent, et vont continuer de s’imposer, à la profession, avec l’accélération du réchauffement climatique. « Ce qui nous rassemble, c’est cette manière d’être attentifs à notre environnement, proche ou lointain, cette manière de nous adapter, d’être un peu caméléon, de ne pas venir en opposition par rapport à un site mais de le révéler ou de l’accompagner  », a confié Corinne Vezzoni, dont le cabinet a conçu le Campus Sud des métiers, conjointement avec le cabinet ABC Architectes Associés.


Corinne Vezzoni ©S.G

Interrogés par la journaliste Marielle Fournier, devant une cinquantaine de personnes venues assister à la conférence, ils ont répondu sans détour aux questions forcément brûlantes à propos du réchauffement climatique. «  Je crois que les architectes ont pris le sujet à bras-le-corps », a avancé Corinne Vezzoni. «  Il y a énormément de réponses actuelles très intéressantes à toutes ces questions. Mais la question du changement climatique, ce n’est pas que la thermie, c’est un tout. Il faut faire attention à ne pas trop minéraliser les sols pour éviter les réverbérations et pour absorber les eaux de pluie. Et puis voir comment capter ces eaux de pluie… ». Elle voit d’un très bon œil le retour dans la construction « à une certaine forme d’archaïsme (…), nécessaire, parce qu’on a vu des aberrations se construire  ».


« Une sorte de mue »

Philippe Prost ©S.G

Pour Philippe Prost, chargé de penser les futurs ports Vauban et Gallice à Antibes, «  le monde de l’architecture est en train d’évoluer, d’effectuer une sorte de mue et je pense que c’est la fin d’un cycle pour l’architecture ‘objet’. Nous sommes beaucoup plus avec des préoccupations sur le rapport à un territoire, à une population, à une géographie, à un climat, que nous ne l’étions il y a 20 ans. C’est quelque chose qui a basculé et je pense que nous étions tous les deux dans cette approche-là, qui se confirme et qui se généralise, parce que nous sommes dans une situation particulière, environnementale, climatique, qui oblige toute la société et au premier rang, les architectes  ». Il a également rappelé qu’avant l’invention de la VMC et de la climatisation dans les logements, c’était «  l’architecture qui répondait à ces questions ». « On l’a oublié. Progressivement, nous avons trouvé des réponses qui consomment beaucoup d’énergie. Ce qui m’intéresse dans l’architecture ancienne, ce n’est pas la passion de l’Histoire, c’est l’intérêt d’y trouver toutes sortes de solutions : comment on contrôle, comment on résiste, comment on trouve de l’inertie à la température. Les matériaux anciens avaient des qualités, qui ont longtemps été niées. Il faut un peu de technologie, un peu de tradition et un peu de bon sens. Ce n’est pas le ‘tout technologique’ ou le ‘tout paille et bois’ mais c’est un entre-deux qui doit nous permettre de trouver les bonnes solutions ». Il estime par ailleurs nécessaire de trouver un autre rapport au temps, d’avoir «  un regard sur le temps long » et de ne pas se contenter « d’analyser ce qui vient de se passer hier pour se projeter après-demain parce que cela ne suffit pas. On est dans le court-termisme, on veut toujours avoir une solution tout de suite mais il faut respirer profondément et réfléchir un peu à ce que l’on peut faire ».

« Fabrique de la ville »

En introduction, le président de la Chambre de commerce et d’industrie Nice Côte d’Azur, Jean-Pierre Savarino, a rappelé que son rôle était de « contribuer au développement de notre territoire en soutenant des projets architecturaux d’envergure », citant les requalifications des ports de plaisance d’Antibes ainsi que le Campus Sud des métiers, «  pensé avec la volonté d’associer plusieurs fonctionnalités urbaines, habituellement séparées ». C’est d’ailleurs cet aspect plurifonctionnel qui plaît aux deux architectes. «  La CCI participe à l’urbain, c’est très important  », a relevé Corinne Vezzoni. « On peut multiplier les usages, faire que tout se croise : du logement, de l’enseignement… Rares sont les maitres d’ouvrage à oser superposer des usages. Souvent, c’est monofonctionnel. Mixer c’est toujours beaucoup plus difficile mais c’est ce qui nous intéresse. C’est peut-être le rôle des CCI, de participer à la fabrique de la ville  ». Philippe Prost, qui a également travaillé pour la CCI Grand Lille, a souligné que les Chambres de commerce et d’industrie proposaient « des programmes plurifonctionnels qui répondent à des attentes internes et externes et créent du lien, de la vitalité. C’est un type de programmation essentiel  ».

CV Express Corinne Vezzoni

Agence Corinne Vezzoni et associés
Quelques réalisations : centre d’interprétation de la grotte Cosquer dans la Villa Méditerranée ; pôle judiciaire de Martigues ; bâtiment Le Thémis à Paris ; lycée Simone Veil à Marseille ; Campus Sud des Métiers à Nice.
Médaille d’or de l’Académie française d’architecture en 2020
Prix du jury du W.A.Ve (Workshop Architecture Venise) en 2019
Prix du ministère du Logement E+C (bâtiment à énergie positive et réduction carbone) en 2017
Prix de la Femme architecte de l’année en 2015

Sa signature ? « Je ne fais pas partie de ces architectes qui ont une signature repérable immédiatement. Ma signature, c’est plutôt d’être attentive au contexte qu’on me propose. Et c’est le contexte qui crée la signature. Comment le contexte peut-il nourrir le lieu ? Cela peut être un contexte historique, social  ».
A propos du Campus Sud des métiers : « Les défis du Campus, c’est d’abord la surface au sol dont on disposait. Elle est très limitée, 8 000 m2, pour un bâtiment à construire de 25 000 m2. Le grand défi c’était celui-là : mettre énormément de surface sur un petit terrain, avec le désir de laisser de l’air et des espaces extérieurs, propices à la rencontre, à la nature, à la vie du Campus. Le deuxième défi était le défi programmatique parce qu’il y avait des surfaces de tailles extrêmement variées, de toutes petites salles de cours face à de grands gymnases, de grandes salles de restauration ».

Campus Sud des métiers (projet) ©CCI NCA

CV Express Philippe Prost

Agence AAPP (Atelier d’architecture Philippe Prost)

Quelques réalisations : Mémorial international de Notre-Dame-de-Lorette dit Anneau de la mémoire à Ablain-Saint-Nazaire (Pas-de-Calais) ; siège de la CCI Grand Lille ; boutique de la Monnaie de Paris ; Cité des électriciens à Bruay-la-Buissière ; Port Gallice et Port Vauban (en chantier).
Grand Prix national d’architecture en 2022
Prix Gubbio pour la Cité des électriciens en 2018
Nombreux prix pour l’Anneau de la mémoire (Trophée Béton en 2017 ; Riba international Award for excellence, European Prize for urban public space, Excellence in concrete construction Award en 2016 ; Prix national BigMat’15 et Prix Iconic Award best of best en 2015 ; Prix de l’Équerre d’argent en 2014…).

Sa signature ? « Pour moi, l’architecture c’est local, ce n’est pas global. Un projet est localisé. On n’utilise pas forcément les mêmes matériaux. A chaque fois, le projet est différent. L’architecture sert à ce que des gens s’en servent, y vivent, apprennent. Sauf quand on fait un monument, là c’est autre chose, c’est commémoratif mais sinon l’architecture c’est d’abord fait pour la vie ».

A propos de Port Gallice : « C’est ce qu’on ne verra plus jamais se faire, c’est-à-dire un projet qui se fait en un an. Un projet créé ex nihilo en une année. Aujourd’hui, il nous faut une année pour obtenir une autorisation administrative de construire… C’est un port Bleu, Blanc, Vert : bleu comme l’azur de la Méditerranée, blanc à cause de la couleur de son architecture et vert parce qu’il fallait absolument revégétaliser ce port, qui avait été à son origine imaginé comme cela. (…) Il y avait une chose formidable dans le projet de l’architecte Guillaume Gillet : donner une vue sur la Méditerranée, c’est-à-dire s’inscrire sur un simple rez-de-chaussée pour ne pas venir couper la vue de ceux qui étaient derrière ».

Port Gallice ©CCI NCA


Sébastien Guiné