16 février 2024
Décryptage d’un revirement de jurisprudence qui continue de faire grand bruit.
Cass soc 13 septembre 2023 n°22-17.638 et 22-17.340 : analyse d’un revirement de jurisprudence qui continue de faire grand bruit.
Tout arrêt de travail pour maladie ou accident ouvre droit à congés payés : les dispositions légales sont jugées finalement conformes à la constitution française.
Le droit à congés payés résulte de l’article L. 3141-3 du Code du travail : « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur ».
Il est donc question d’un « travail effectif » de sorte que les périodes d’absence du salarié ne sont, en principe, pas retenues pour le calcul du nombre de jours de congés payés.
Ce principe a été assoupli quelque peu par le législateur. L’article L. 3141-5 du Code du travail prévoit en effet que les périodes de suspension du contrat de travail en raison d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle sont assimilées à du travail effectif pour la détermination de la durée du congé, mais uniquement dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an.
Ainsi, passée cette condition d’une année, le salarié ne dispose plus de droit à congés payés.
Malgré cet assouplissement, cette position restait totalement contraire au droit européen qui consacre un droit à congés payés d’au moins 4 semaines par an, ce droit n’étant pas affecté par l’absence du salarié pour raisons de santé au cours de la période d’acquisition des congés payés (article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003).
Il en résulte, selon la CJUE, qu’une période d’incapacité de travail doit également être prise en compte dans le calcul du droit à congés payés, lorsqu’elle est « imprévisible et indépendante de la volonté du travailleur » (CJUE 24-1-2012 aff. 282/10 : RJS 4/12).
Fort de la position du droit européen, la Cour de cassation, saisie par des salariés, se prononce pour la première fois sur les dispositions de l’article L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail.
Elle décide alors que ces dispositions sont non conformes aux règles du droit européen et plus précisément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Elle écarte donc :
– D’une part les dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail en ce qu’elles subordonnent l’acquisition de congés à l’accomplissement d’un travail effectif (Cass. Soc. 13 sept. 2013, n°22-17.340).
– D’autre part, les dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail en ce qu’elles conditionnent l’acquisition du droit à congés payés à une maladie professionnelle ou un accident du travail ne dépassant pas une durée d’une année maximale (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.529).
Cette position nouvelle de la Cour de cassation a récemment été appliquée par la Cour d’appel de CAEN qui a considéré que les salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’une maladie, que celle-ci soit
d’origine professionnelle ou pas, continuent à acquérir des droit à congés payés durant cette période (CA de CAEN, 11 janvier 2024, n°22/00899).
Les entreprises peuvent être/sont aujourd’hui confrontées à de nombreuses demandes de salariés de régularisations de leurs droits à congés payés qui ont été limités en raison d’arrêts maladie.
Mais depuis quand le salarié peut-il demander que ses droits soient revus ?
La question centrale pour les entreprises, passé le fait que tout arrêt maladie ouvre droit à congés payés, est la détermination de la période pour laquelle les droits à congés sont dus aux salariés et la question de savoir si ces droits ne sont pas, pour partie, prescrits.
Pour les périodes d’acquisition en cours, il reviendrait aux entreprises de tenir compte des absences pour maladie pour calculer le nombre de jours de congés payés.
Pour les périodes antérieures, il y aurait lieu de considérer que les congés payés sont des créances salariales, se prescrivant par trois ans à compter de l’expiration de la période où ils auraient dû être pris.
Toutefois, dans sa première mouvance, la Cour de cassation s’est une troisième fois prononcée en faveur du salarié puisqu’elle vient restreindre la possibilité pour l’employeur de se prévaloir de la prescription en la matière.
Elle considère en effet que lorsque l’employeur oppose la prescription triennale, celle-ci ne peut être admise que s’il démontre avoir accompli toutes les diligences qui lui incombent légalement pour mettre le salarié en mesure d’exercer effectivement son droit à congé, c’est-à-dire de prendre ses congés (Cass. soc. 13-9-2023 n° 22-10.529 FP-BR).
Nous restons cependant dans l’attente d’illustrations de ce que pourraient être ces diligences permettant à l’employeur d’opposer la prescription triennale.
Et ce flou juridique et en pratique ne devraient pas s’arranger de sitôt…
Le Conseil constitutionnel, saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail à la Constitution française à défaut de l’être vis-à-vis du droit européen, les juge conformes à la Constitution en ce qu’elles ne portent atteinte ni au droit à la protection de la santé et au repos ni au principe d’égalité (Cons. const. QPC 8-2-2024 n° 2023-1079).
Ainsi, si les dispositions légales litigieuses ne sont pas inconstitutionnelles, elles demeurent toutefois contraires à la Directive européenne de 2003. Or, le gouvernement est censé mettre le droit français en conformité avec celui de l’Union européenne.
Seule piste : lors de l’audition du 31 janvier 2024, le représentant du Premier ministre avait d’ores et déjà indiqué que pour mettre en conformité le droit français par rapport à la directive de 2003, le gouvernement envisageait « de limiter le quantum à quatre semaines de congés payés dans le respect du principe d’égalité ». Le mystère, à l’heure actuelle, reste donc entier…
Affaire à suivre.