Budget 2010 : on flambe !


Economie


6 novembre 2009

En élève discipliné, notre pays respecte scrupuleusement les recommandations du G20. Le projet de budget affiche un énorme déficit, après le gouffre abyssal de 2009. Mais l’ordonnance des économistes prescrit un vigoureux stimulus budgétaire. Pour rembourser la dette qui s’accumule, eh bien, on verra plus tard. Ou peut-être jamais…

En des temps de débats budgétaires, il faut saluer l’initiative de l’hebdomadaire The Economist, qui affiche sur son site internet un compteur : celui de l’évolution de la dette publique du monde entier. Au rythme actuel, la dette souveraine s’accroit de… 4 200 milliards de dollars par an, c’est-à-dire que les déficits publics en 2009 devraient représenter, dans leur ensemble, 7% du PIB mondial. Et un peu plus de 8% l’année prochaine, sous réserve que les anticipations de croissance soient vérifiées, ce qui demeure hypothétique. Reconnaissons que les énormes déficits américains font baisser la moyenne et que la France y prend sa part, merci pour elle. Reconnaissons aussi que la situation est exceptionnelle. Mais un constat s’impose : en période de croissance, l’immense majorité des Etats, dont le nôtre, se révèlent incapables d’endiguer la dérive des comptes publics. Et donc d’amortir les emprunts antérieurs. Si bien qu’en période de vaches maigres, comme aujourd’hui, et probablement squelettiques demain, l’endettement va croître dans des proportions pharaoniques. Il est ainsi permis de se demander quels moyens pourront utiliser les gouvernements à venir, pour simplement stabiliser la dette aux sommets qu’elle aura atteints lorsque la crise sera officiellement achevée. C’est-à-dire… un jour ou l’autre.

Autant dire que dans la présentation de la loi de Finances pour 2010, les attendus du gouvernement revêtent une grande importance. Depuis que la « programmation pluriannuelle » a été adoptée, en matière de finances publiques, on est raisonnablement fondé à espérer que le gouvernement nous dévoile l’horizon au-delà de la fin de l’exercice à venir. Tel n’est pas le cas, à cause de l’incertitude des temps, sans doute. D’évidence, toute l’énergie des services s’est concentrée sur la présentation d’un budget 2010 qui soit le plus sexy possible, alors que ce sera la première fois, dans l’histoire de l’après-guerre, qu’un gouvernement français présente un budget entaché d’un déficit prévisionnel de… 8,5% du PIB. Un déficit qui s’élèvera ainsi à 43,5% des recettes escomptées de l’Etat. Si vous êtes chef d’entreprise, n’essayez pas de présenter à votre conseil d’administration un prévisionnel affichant une perte de 43,5% du chiffre d’affaires : vous serez probablement viré avant l’heure de l’apéritif, et votre parachute doré se mettra en torche. Mais un Etat souverain n’est pas une entreprise, admettons-le.

Une dépense « maîtrisée »

Ainsi donc, nous disent les ministres concernés, l’exercice en cours s’achèvera avec un déficit probable de 141 milliards d’euros, sans commune mesure avec celui qui fut voté l’année dernière, bien qu’à cette époque personne ne pût douter que nous fussions en crise – à l’exception notable de Dame Lagarde, dont l’optimisme est imperméable à toute récession. Puisque les économistes du FMI viennent opportunément de relever leurs espérances pour 2010, en dépit de la constante morosité des principaux indicateurs, Bercy peut avancer l’hypothèse « conservatrice » d’une croissance de 0,75% pour l’année prochaine. Bon : croisons les doigts et acceptons-en l’augure. En foi de quoi le budget est-il construit de façon à « accompagner et conforter la sortie de crise économique » et aussi « préparer dès maintenant la croissance de demain ». Une telle ambition, au demeurant fort honorable, a évidemment un prix. Un prix élevé. Heureusement, grâce à la « poursuite d’une stricte maîtrise des dépenses de l’Etat », qui en fait, comme vous l’avez finement observé, n’a jamais vraiment commencé, le déficit 2010 sera « ramené » à 116 milliards d’euros. C’est-à-dire trois fois ce qu’il était avant la crise. Mais notez le bien : l’Etat se montre scrupuleusement parcimonieux. Il ne remplacera qu’un départ de fonctionnaire sur deux, si bien que les dépenses engagées seront limitées à… celles de 2009, simplement majorées de l’inflation prévisible (1,2%). On souhaite à chaque Français de pouvoir pratiquer la même « rigueur » dans son budget…

Il résulte de ce contexte que sur une dépense prévisionnelle de 384 milliards d’euros, les actions les plus significatives sont les suivantes : 11,7 milliards d’allègements sur les entreprises, par la transformation de la taxe professionnelle ; 7 milliards au titre de la poursuite des plans initiés en 2009 ; 1,8 milliard à l’enseignement supérieur et à la recherche ; 1,5 milliard (nets)… de boni grâce à la taxe carbone. On vous fait grâce des pourboires. En foi de quoi, les débats budgétaires ne seront, cette année, probablement pas très animés : tout le monde est d’accord sur le stimulus budgétaire en période de crise. Tout au plus la dépense peut-elle encore s’accroître avant le vote ; mais puisqu’il n’est pas question de majorer les impôts, l’exercice sera difficile. On en vient pratiquement à souhaiter que la crise reprenne de plus belle, après son apparente accalmie présente. Car dans une telle hypothèse, les budgets publics deviendraient à ce point incontrôlables que personne ne pourrait sensément plus croire à la solvabilité des signatures souveraines. On pourrait alors répudier nos dettes, comme des bolchevicks mal-élevés, histoire de rendre aux banquiers la monnaie de la pièce. Au contraire, dans le cas où les pronostics officiels se réaliseraient, la perspective de se faire étriller d’impôts pourrait atténuer notre entrain au travail, et nous faire regretter la quiétude des paradis fiscaux du bon vieux temps…


Jean-Jacques Jugie