La ville grignote toujours la campagne, mais un peu moins vite


Economie


20 juin 2013

Les marchés fonciers agricoles connaissent un léger fléchissement en 2012. Mais ce résultat cache de grandes disparités, entre les terrains voués à l’urbanisation, qui se vendent un peu moins bien que l’an dernier, et le prix des vignes de luxe, qui continue de flamber.

La récession économique ne touche pas seulement les villes. Le marché des terrains ruraux a connu un léger recul en 2012, affirme la Fédération des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (FNSafer). «  La tendance générale est à la contraction du nombre des ventes et à la baisse des prix  », assure Emmanuel Hyest, président de la fédération, qui fournit une explication : «  les propriétaires conservent leur bien comme une valeur refuge  ». Après un premier fléchissement consécutif à la crise de 2008, les prix étaient repartis à la hausse en 2010, mais 2012 calme à nouveau le jeu. La FNSafer analyse ces données, que les notaires sont dans l’obligation de lui transmettre, depuis plus de 40 ans.
Toutes les catégories de biens ne sont pas touchées de la même manière. La valeur des biens agricoles proprement dits a d’ailleurs progressé de 2% l’an dernier, sans toutefois retrouver son niveau maximal de 2007. Les biens qui « quittent l’usage agricole », comme dit Emmanuel Hyest, subissent davantage la contraction. C’est le cas des « maisons à la campagne  », une catégorie dans laquelle les Safer placent «  les anciens corps de ferme » ou « bâtiments à usage de résidence principale vendus avec un terrain agricole » et achetés par « des citadins non agriculteurs ». Ces biens ont connu une rechute de 13% en 2012. Le marché, plus instable que celui des terrains agricoles, avait connu une dégringolade plus forte encore en 2008 et 2009, après une nette hausse les années précédentes. Les loisirs des citadins à la campagne n’ont décidément plus la cote. Les espaces résidentiels non bâtis, « petites parcelles acquises par des non-agriculteurs », qui servent par exemple pour parquer des chevaux ou planter des arbres fruitiers, reculent de 18%. La forêt se porte mieux. Le prix à l’hectare ne se replie que de 1,5%, car « les forêts restent une valeur refuge et fiscale », estime Emmanuel Hyest. Les petites parcelles forestières, qui bénéficient du besoin de bois de chauffage, se vendent mieux que les plus grandes.

Spéculation viticole

Autrement plus enviable est le sort des propriétaires des vignes. « Les grands crus à prix d’or », résument les Safer. Le prix des terrains viticoles est le seul qui continue, depuis quinze ans, de connaître une tendance résolument haussière. Les vignes bénéficiant d’une appellation d’origine protégée (AOP), le label européen qui identifie les produits de terroir, tirent l’ensemble du marché viticole vers le haut. Ces terrains, qui dépassent en moyenne le prix de 130 000 euros à l’hectare, ont connu une nouvelle hausse de 13,5% en 2012. Les œnologues amateurs peuvent déceler, sur une carte des zones d’appellation protégée publiée par la fédération, la corrélation entre l’évolution des prix depuis dix ans et celle des goûts. Le Cognac, le Champagne et, dans une moindre mesure, la Provence et la Corse, sont nettement en hausse, tandis que le Bordelais, la Bourgogne, le Languedoc et la Loire ont plutôt eu tendance à se contracter. « Les vignobles haut de gamme sont portés par la demande mondiale de produits de luxe », interprète Emmanuel Hyest. Les terrains situés dans la zone de production du Champagne ont ainsi gagné 21,5% en 2012 et un hectare servant à la création des précieuses bulles « se vend 92 fois plus cher qu’un hectare de vignes dans le Languedoc-Roussillon  », précise Robert Levesque, en charge des études à la FNSafer. Dans la Marne et dans l’Aube, les terrains viticoles en pleine propriété peuvent atteindre 700 000 euros ou un million d’euros l’hectare, contre 5 000 ou 6 000 euros pour des terrains non viticoles.

Rapide urbanisation

Les terrains agricoles destinés à l’urbanisation ne connaissent pas une telle flambée, bien au contraire. « La pression foncière urbaine est en recul  », affirme Robert Levesque. Le marché perd « 3% en nombre de biens, 9% en surface et 6% en valeur », constate-t-il. Pour le spécialiste, la baisse enregistrée en 2012 correspond au « second retournement depuis 2007 ». La hausse avait repris, comme pour l’ensemble des terrains agricoles, en 2010 et 2011, avant de fléchir en 2012. Peut-être, ajoute-t-il, « que les mesures prises contre le gaspillage des terres commencent à porter leurs effets ». Les commissions départementales de consommation des espaces naturels, créées par la loi de modernisation de l’agriculture de 2010 et chargées de limiter officialisation, doivent désormais donner leur accord avant tout projet nouveau.

En pratique, toutefois, le « retournement » qui affecterait l’étalement urbain n’est qu’en trompe l’œil. On continue, en France, à transformer rapidement la campagne en ville mais la vitesse de cet étalement urbain, qui s’est accélérée au cours des décennies passées au point d’alarmer les pouvoirs publics, diminue légèrement. Si l’on en croit une carte publiée par la FNSafer, la pression urbaine demeure encore forte dans les franges de l’Ile-de-France, sur le littoral vendéen, dans le Languedoc ou dans le Nord. Le seul indice d’un fléchissement de la tendance concerne les acquisitions par le secteur public. Leur nombre « continue de progresser un peu », mais « à surface et valeur équivalentes  », remarque Robert Levesque. Comme si les pouvoirs publics et les élus, conscients de la nécessité de ne pas consommer inutilement des terres agricoles, avaient cherché à se montrer un peu moins voraces.

Visuel : Photos Libres


Olivier Razemon