Les mécomptes de la Sécu


Economie


24 septembre 2013

En 2012, la Sécurité sociale a affiché un déficit moindre que les années précédentes. Mais encore très élevé. Et l’avenir demeure préoccupant. La Cour des comptes vient de livrer son rapport sur la protection sociale. Il annonce en filigrane un possible ajustement de la CSG, et une hausse probable de la CRDS.

Plus de 500 pages au dernier rapport de la Cour des comptes relatif à la Sécurité sociale. Un pavé à la mesure du poids de la protection sociale dans les finances du pays. Et de leur part significative dans les déficits alignés par la maison France. Après le record de 2010 (28 milliards d’euros), le déficit a régressé l’année suivante (un peu moins de 21 mds) et poursuivi sa décrue en 2012 (17,4 mds). Le modeste freinage de la détérioration des comptes est principalement imputable, note la Cour, à la perception de nouvelles recettes (6,2 mds). Mais le paquebot de la Sécu semble accalminé sur l’océan de la maîtrise des dépenses. En conséquence, le bilan de l’année en cours devrait laisser apparaître, au mieux, un trou aussi profond que celui de l’année dernière : la morosité du marché de l’emploi constitue évidemment un frein puissant à la collecte des ressources, principalement assises sur les revenu du travail.

Ce n’est donc pas en vain que la Cour insiste sur la nécessité d’« enrayer la spirale de la dette sociale ». Et de rappeler que la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale) – mise en place pour financer des déficits réputés conjoncturels – a normalement une durée de vie limitée (2025). Laquelle ne cesse de s’allonger au fur et à mesure que de nouveaux déficits de la Sécu viennent charger sa barque. Pour éviter que la Caisse ad hoc ne devienne immortelle, et que les générations futures ne soient tenues de financer le bien-être passé de leurs défunts aïeux, il n’existe que deux moyens à mobiliser simultanément : augmenter les revenus de la Cades pour faire face à son surcroît de charges. C’est-à-dire majorer la CRDS, qui est la ressource affectée à son fonctionnement. Et en même temps, ramener les comptes sociaux à l’équilibre. Ce qui laisser présager une majoration probable de la CSG, laquelle touche tous les revenus et se trouve ainsi considérée comme plus « juste » que les cotisations reposant sur les seuls revenus du travail. Elle est également plus rentable, bien entendu, ce qui ajoute à son charme : son produit est supérieur à celui de l’impôt sur le revenu et devrait dépasser 90 mds d’euros en 2013. L’importante contribution de la CSG a ainsi permis de « différer des choix structurants » en matière de dépenses. Mais la hausse de cette contribution a atteint ses limites : la Cour note que « des contraintes juridiques d’ordre constitutionnel tendent à limiter désormais les possibilités d’augmentation générale de ses taux ». Voilà sans doute ce qui a fait reculer le gouvernement dans le recours à cette arme de ponction massive qu’est la CSG, sans que l’on puisse garantir qu’il y ait définitivement renoncé… En tout cas, qu’il s’agisse du budget de l’Etat ou de celui de la Sécu, le contexte n’est guère propice à une « pause » dans la hausse des prélèvements.

Amélioration fragile

Pour assainir les comptes, reste évidemment la voie de la maîtrise des dépenses, option qui ne semble pas figurer dans le manuel de gestion « à la française ». Ce n’est pourtant pas faute, pour la Cour, d’avoir de longue date pilonné le sujet. Le rapport récent revient largement sur les sources de déperdition dans le financement de la protection sociale. En termes de recettes, d’abord : les « niches sociales » sont aussi nombreuses que leurs homologues fiscales ; elles représentent une petite fortune de manque à gagner et, pour une large part, seraient « inefficaces et inefficientes » - un avis que ne doivent pas partager bon nombre de chefs d’entreprises, s’ils en jugent au montant de leurs relevés de charges sociales… Quoi qu’il en soit, l’évaluation du coût des niches demeure floue : il est estimé à 52 mds d’euros (12% du budget de la Sécu !) de façon assez approximative, sans qu’il soit véritablement possible d’appréhender leur évolution. En foi de quoi la Cour recommande-t-elle « d’organiser et mettre en œuvre l’évaluation de l’ensemble des niches sociales en cinq ans, comme le prévoit la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 ».

Au niveau des dépenses, les observations ne manquent pas. Le secteur hospitalier, qui a longtemps suscité bien des inquiétudes, affiche un exercice 2012 en léger excédent – une fois n’est pas coutume. Mais cet équilibre est considéré comme « largement circonstanciel », imputable à des cessions d’actifs et aux « aides d’urgence » - aides de trésorerie qui deviennent… définitives. Les magistrats s’interrogent sur la stratégie suivie par les hôpitaux en vue de maîtriser les coûts. En vain et pour cause : il n’y en a pas. Et dans le même temps, les comptes ne brillent pas par leur fiabilité. A partir de ces constats, tout porte à penser que le secteur s’abîmera de nouveau dans le rouge cette année. On fera ici l’impasse sur les recommandations, plus techniques, relatives à la recherche d’efficience. Mais il faut ici faire mention du chapitre consacré aux mutuelles de fonctionnaires, qui gèrent environ 6 millions d’assurés pour le compte du régime général. Le ton des magistrats de la Cour, traditionnellement mesuré, leur interdit de livrer le fond de leur pensée. On va donc traduire : nombre de ces mutuelles sont d’authentiques pétaudières. Il conviendrait donc de faire reprendre les fonctionnaires concernés en gestion directe par le réseau de l’assurance maladie obligatoire. Ainsi que les étudiants : leurs mutuelles seraient un modèle inégalable de chienlit. Heureusement pour eux : à leur âge, ils ne sont pas souvent malades.


Jean-Jacques Jugie