Immobilier : un avenir morose ?


Economie


8 octobre 2013

Hausse des coûts de construction, explosion des valeurs foncières, multiplication des normes : autant de facteurs qui ont dopé les prix immobiliers. Lesquels devraient ainsi stagner durablement. A cause de l’insolvabilité des candidats à l’accession et du découragement des bailleurs, désormais vilipendés.

« Les prix ont atteint un point haut. Les ménages n’ont donc plus l’espoir de dégager des plus-values immobilières à terme » : tel est le jugement sans appel du président de Nexity, dans un entretien rapporté par La Tribune. Sa remarque vaut principalement pour la région parisienne, mais elle est sans doute transposable au pays tout entier – avec quelques exceptions pour confirmer la règle. Il semblerait que le coût de la construction ait doublé sur les dix dernières années, sous l’effet de la hausse des matières premières et de l’impact des nouvelles normes. Dans le même temps, le prix du foncier aurait été multiplié par trois, « voire quatre dans certains secteurs ». Au point de représenter 41% du prix d’un logement neuf à Paris, contre 19% en moyenne nationale : les conséquences de la rareté, même si notre pays dispose d’une large réserve de terrains constructibles. Mais de nombreuses villes hésitent à favoriser l’offre de logements, car les administrés, dit-on, voient d’un mauvais œil l’implantation massive de nouvelles familles. Et les électeurs se vengent mesquinement lors des municipales…

Une observation intéressante du promoteur sur la maîtrise des prix : il faut d’abord aux constructeurs une visibilité raisonnable pour adapter leur offre aux besoins du marché, sachant que la construction repose sur un cycle long. Il faut donc une certaine stabilité réglementaire. Ce n’est guère le cas chez nous, où chaque ministre en exercice veut accoler son nom à une loi, et promeut soit une carotte fiscale pour les investisseurs, soit un bâton pour punir les bailleurs de leur rapacité supposée, ou de leur refus de concéder leurs biens à des locataires impécunieux. On chemine ainsi, au fil du temps, entre la nécessité d’émoustiller les investisseurs pour qu’ils comblent le manque de logements, et le désir de sanctionner les « rentiers » qui ont le toupet d’exiger un revenu de leurs immeubles, au mépris de la politique sociale du gouvernement. Il en résulte une situation juridique complexe, qui finit par dissoudre les prérogatives ordinaires de la propriété. Le statut du bailleur tend à ressembler à celui de l’agriculteur : arrosé de subventions en amont, ficelé d’obligations en aval ; encouragé à produire mais entravé par des prix, des normes, des taxes et des vexations, qui anéantissement son rendement et son enthousiasme à investir. Ce n’est pas que la question du logement soit anecdotique : une société prétendument évoluée ne saurait tolérer d’abandonner ses citoyens à la rue. Mais il est probable que les solutions appropriées passent davantage par l’augmentation des revenus que par des usines à gaz réglementaires.

Fin des plus-values automatiques

Une autre conséquence de l’instabilité dénoncée par le promoteur : l’industrie de la construction souffre d’un déficit de productivité. Une production chaotique limite les possibilités d’investir dans la formation. Les constructeurs réduisent ainsi leur personnel à un noyau dur de professionnels qualifiés, et le complètent du mieux qu’ils peuvent selon les besoins conjoncturels, compensant par un sureffectif de 15% la qualification médiocre de leur recrutement occasionnel. Les coûts de production pourraient donc être améliorés, mais ce n’est sans doute pas le principal facteur qui pèse sur l’évolution des prix immobiliers. En dépit de leur pause actuelle, ils ont atteint des niveaux historiquement élevés par rapport au revenu des acquéreurs – le paramètre le plus important pour l’accession à la propriété. Ensuite, des cohortes entières de baby-boomers vont partir à la retraite et mettre sur le marché leur logement urbain. Quant aux investisseurs, le revenu qu’ils peuvent espérer – net de charges, d’aléas, d’impôts et de tracas – n’est plus très incitatif, même si les rendements financiers sont eux aussi près du plancher. On peut donc convenir que les espérances de plus-values deviennent plus ténues, sauf à imaginer le retour d’une forte inflation, qui aurait au moins pour effet de protéger peu ou prou le capital.

Sur une longue période, il faut admettre que l’immobilier a très largement contribué à enrichir le pékin, grâce à des plus-values ne résultant qu’à la marge de la hausse des coûts de construction. On peut ainsi inférer que cet argent gagné « en dormant » a sensiblement dopé la croissance, même si la résidence principale n’est pas chez nous la machine à consommer des Américains ou des Anglais – qui extériorisent la plus-value latente de leur maison pour souscrire un nouveau crédit. En supposant que l’on soit au bout d’un processus de valorisation supérieure à sa justification économique, et donc au bout d’un cycle de revenus exceptionnels « gratuits », il y a matière à s’inquiéter pour le dynamisme de la croissance future… La magie du capitalisme s’épuise.

Tel n’est pas le cas à Cuba, en voie de libéralisation rampante, où la propriété immobilière a été légalisée voilà deux ans. Et où le crédit immobilier commence à se développer. Internet regorge de sites présentant des offres à des prix alléchants pour des Occidentaux – lesquels ne peuvent toutefois se porter acquéreurs que s’ils sont résidents permanents. Sauf à passer un deal occulte avec un autochtone, et prendre le risque de se faire totalement éponger. Mais on peut supposer que la réglementation évoluera, quand il deviendra opportun de faire allouer aux natifs la plus-value siphonnée dans le portefeuille des étrangers. Un pronostic : les prochaines fortunes cubaines seront foncières et immobilières. Comme au temps de l’ancien dictateur Batista. C’était bien la peine de faire une révolution…


Jean-Jacques Jugie