Le casse-tête des flux migratoires


Economie


30 octobre 2013

Chacun sait pourquoi notre pays attire une forte immigration, surtout clandestine. Mais, dans l’autre sens, la fiscalité venimeuse n’est pas le seul motif d’émigration, ni même le premier. Nos jeunes diplômés sont nombreux à quitter le pays. Le nouveau statut d’« étudiant-entrepreneur » suffira-t-il à les retenir ? Il est permis d’en douter.

Nous voici donc de nouveau confrontés à la question des flux migratoires, un sujet épineux qui divise l’opinion depuis des lustres. Et ce dans les deux sens du mouvement. D’un côté, l’immigration que l’on appellera désormais léonardienne plutôt qu’illégale, afin de ne pas froisser ceux pour qui la compassion doit primer le Droit : un tel problème restera insoluble tant que la détresse économique règnera sur des zones entières de notre planète, encourageant les populations autochtones à l’exode. Il est indifférent que les migrants aspirent sincèrement à l’intégration ou qu’ils se comportent en profiteurs sans vergogne : la faim justifie les moyens, si l’on ose dire. De l’autre côté, notre pays enregistre une hémorragie croissante d’expatriés dont Philippe Marini (UMP), depuis son poste d’observation privilégié de président de la commission des Finances, a tenté d’analyser les motivations réelles.

Bien sûr, c’est l’argument fiscal qui vient à l’esprit en premier lieu : tant l’ISF que la taxation des très hauts revenus ont provoqué le départ de quelques gros contribuables médiatisés. Mais il apparaît, à l’examen, que le critère de la fortune n’est pas déterminant. Les exilés pour des raisons de fiscalité patrimoniale sont finalement peu nombreux, et leurs actifs moyens ne dépassent pas quelques millions d’euros – un niveau, certes, très supérieur à la norme nationale, mais que l’on ne peut raisonnablement pas classer au rang de « grosses fortunes ». De la même façon, le critère du revenu n’est pas décisif : les départs en 2011 concernent 2 000 contribuables dont le revenu annuel dépasse 100 000 euros. C’est nettement plus que l’année précédente et, en valeur absolue, ce n’est pas négligeable. Mais ramené aux plus de 35 000 départs sur l’exercice (68% de plus qu’en 2010), le chiffre revient à des proportions plutôt modestes. Quoi qu’il en soit, il est impossible de conclure que le nomadisme constaté est principalement imputable à la volonté de se soustraire à une fiscalité vacharde. Même si quelques dossiers sensibles ont migré vers la Belgique ou la Suisse sur des considérations patrimoniales. En fait, dans une proportion écrasante, les exilés s’installent en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

La France ne fait plus rêver

Quel est le profil des nouveaux expatriés ? Il sont célibataires dans la proportion de 65% ; jeunes (40% ont moins de 30 ans) et généreusement diplômés. C’est donc la motivation professionnelle qui prime : sans contraintes familiales, ces « aventuriers » des temps modernes vont tenter leur chance sous des cieux qu’ils jugent plus favorables que la France pour la réussite de leur carrière. On se s’étonnera pas qu’ils soient nombreux à stationner en Grande-Bretagne : la City a repris du poil de la bête et continue de représenter l’eldorado des « grosses têtes » hexagonales, légitimement attirées par les ponts d’or de l’industrie financière. Convenons que pour les jeunes générations, la mobilité internationale procède désormais d’une culture bien établie dans la plupart des grandes écoles, où les chasseurs de têtes maraudent sans relâche. Convenons aussi que les conditions offertes par les Américains, aux chercheurs français, sont sans commune mesure avec ce que ces derniers peuvent ambitionner chez eux, tant en moyens opérationnels qu’en rémunérations. Résultat : notre jeunesse prometteuse est aspirée par la finance et les sciences appliquées anglo-saxonnes – les deux principaux gisements de valeur ajoutée des temps présents.

Ce n’est donc pas vraiment la rigueur (relative) de l’impôt français qui encourage nos jeunes diplômés à l’exode. C’est davantage le fait que leur pays ne leur offre pas de perspectives attrayantes, si l’on en juge aux difficultés d’insertion sur le marché du travail et à la modestie des rémunérations de début de carrière : notre système continue de privilégier les équipes en place et n’encourage guère l’intégration des jeunes générations – adversaires potentiels de l’ordre établi, ce qui, en effet, ne relève pas totalement du fantasme. Notre société se comporte comme Harpagon, obsédée par la préservation de la cassette de ses « acquis ». Réfractaire à toute prise de risque. En ce sens, la caricature que les Anglais font de nous n’est pas dénuée de pertinence : nous serions un peuple de rentiers, pas d’entrepreneurs. Pour corriger ce travers génétique, le ministère de l’Enseignement et de la Recherche lance un projet très fun : la création d’un statut d’« entrepreneur-étudiant », afin de stimuler la création d’entreprises (« innovantes », bien sûr) au sein d’une population peu sensibilisée à la chose (à peine plus de 2% des jeunes diplômés se lancent dans l’aventure). Afin de renforcer le « Pôle entreprenariat étudiant », lancé en 2010, il est prévu de mettre en place un dispositif joliment baptisé « PEPITE » (Pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat - des structures d’accompagnement accueillant incubateurs et accélérateurs de projets). Outre un cursus d’entreprenariat et de « management de l’innovation », l’Université va donc offrir aux startuppers en herbe la possibilité de participer à un concours national, qui dotera les « meilleurs projets » de quelques milliers d’euros. Bingo ! Et surtout, le futur chef d’entreprise bénéficiera d’un « statut » - passeport indispensable aux yeux de l’administration française : même s’il n’est plus étudiant, il pourra conserver son… assurance sociale. Bon sang, mais c’est… Bien sûr ! On n’aurait jamais imaginé que le vrai motif de l’exode des jeunes, c’était l’attrait irrésistible de l’incomparable Sécu des Américains et des Anglais…


Jean-Jacques Jugie