La difficile indemnisation des commerçants mécontents des travaux publics entrepris par les collectivités devant leurs commerces


Economie


31 octobre 2013

Deux jugements récents du Tribunal administratif de Dijon [1] viennent de rappeler que les commerçants qui se plaignent de travaux
entrepris par les collectivités publiques devant leurs négoces ne peuvent être indemnisés du préjudice économique que s’ils
démontrent qu’ils ont subi un préjudice spécial et anormal. Or, cette démonstration est des plus difficiles à opérer.

Les faits de l’espèce sont classiques. Le tenancier d’une épicerie-cafétabac-presse s’est ainsi plaint des travaux entrepris par la Commune
de Laives (Département de Saône-et-Loire). Ces travaux, jouxtant la
rue où se trouve le commerce du requérant, tendaient essentiellement
à améliorer la sécurité routière. La Ville a, ainsi, décidé de séparer
clairement le trottoir de la chaussée et a mis en place des barrières
et poteaux afin de limiter le stationnement anarchique des véhicules.
Estimant que ces aménagements étaient néfastes pour son commerce,
le requérant a entrepris une double action contentieuse à l’encontre
de la collectivité.

Le commerçant a ainsi, en premier lieu, demandé au juge administratif
de contraindre la Ville à supprimer les poteaux et barrières installés
pour limiter le stationnement anarchique dans la rue où se trouve son
commerce. Le tribunal a rejeté cette demande en considérant que les
travaux entrepris par la commune avaient permis de maintenir 32
places de stationnement à proximité du commerce et permettaient de
« limiter un stationnement anarchique et préjudiciable à la sécurité de
tous les usagers de la voirie ». La demande du commerçant est donc
rejetée par le tribunal qui, sans surprise, fait primer l’intérêt général
(la sécurité routière) sur l’intérêt privé du commerçant (avant les travaux,
un grand nombre d’automobilistes pouvait se garer facilement
juste devant le commerce).

En second lieu, le commerçant a également demandé au tribunal
de condamner la commune à lui verser une indemnité couvrant le
préjudice commercial subi par son négoce pendant la réalisation des
travaux qui ont duré 2 mois. Plus précisément, le commerçant estimait
que son chiffre d’affaires avait baissé de 129.000 euros sur un an en
raison de la réalisation de ces travaux. Reprenant la jurisprudence
classique du Conseil d’Etat, le tribunal a, sur ce point, rappelé que le
commerçant pouvait engager la responsabilité sans faute de la commune
pour obtenir l’indemnisation du préjudice commercial causé
par la réalisation de travaux publics. Toutefois, pour obtenir le versement
d’une indemnisation, le commerçant doit démontrer qu’il a subi,
à raison des travaux réalisés par la commune, un préjudice anormal
et spécial.

Or, en l’espèce, le tribunal va considérer que le préjudice subi par le
requérant ne présentait pas ce caractère d’anormalité et de spécialité.
Tout d’abord, le tribunal va constater que d’autres commerçants de
la Commune avaient également été affectés par les travaux. Dès lors,
le préjudice invoqué par le requérant ne présente pas un caractère
spécial puisque ce « désagrément » affecte plusieurs commerçants. De
même, le tribunal va considérer que le préjudice ne présente pas un
caractère anormal, c’est-à-dire n’excède pas les contraintes liées à
l’intérêt général que doit subir tout administré, dès lors que la commune
a mis en place pendant les travaux un dispositif permettant aux
riverains d’accéder à la rue où se situe le commerce du requérant.

Le tribunal constate ainsi que le dispositif mis en place par la commune
permettait à la clientèle habituelle du requérant de continuer
à fréquenter le commerce. Concernant la perte de chiffre d’affaires
lié à la clientèle occasionnelle, le tribunal considère également que
le préjudice subi par le commerçant ne présente pas un caractère
anormal dès lors que la gêne découlant des travaux n’excédaient
pas celles « qu’un riverain de la voie publique peut être normalement
appelé à supporter ». La demande indemnitaire du commerçant est
donc rejetée par le tribunal.

Ces deux décisions rappellent que l’état du droit est loin d’être favorable
pour les commerçants agacés par les travaux de voirie entrepris
en milieu urbain par les collectivités publiques. Pour obtenir réparation,
les commerçants ne doivent pas être trop nombreux à subir les
désagréments provoqués par les travaux et doivent démontrer que
ces travaux sont la seule cause d’une baisse très importante de leur
chiffre d’affaires. Difficile démonstration. Si on se place sur un simple
terrain juridique, les commerçants devraient donc se réjouir des commissions
d’indemnisation mises en place par certaines municipalités
lors de la réalisation de grandes opérations de travaux publics. Saisis
de tels contentieux, il est, en effet, loin d’être admis que les tribunaux
accorderaient la moindre indemnisation aux requérants dans de telles
hypothèses.


Antoine ALONSO GARCIA - Cabinet ALONSO MAILLIARD - (...)