Budget : ces chers transports publics


Economie


8 novembre 2013

Pourra-t-on continuer à financer des lignes de métro, tramway et bus ? Ce n’est pas certain. Les collectivités, exsangues, ne peuvent pas compter sur l’impôt et le prix du ticket n’augmente pas. Les transporteurs lancent un cri d’alarme.

De nos jours, tout le monde aime le tramway. Depuis le retour de ce moyen de transport dans les villes, au milieu des années 1980, les rames peintes aux couleurs de la ville font l’unanimité. Les passagers se laissent porter en observant le paysage urbain à travers les larges baies vitrées, les urbanistes en profitent pour modifier l’apparence des quartiers traversés et les élus sont heureux d’avoir inauguré une infrastructure, le plus souvent à quelques mois des élections. Et pourtant, il va falloir s’y résoudre, l’âge d’or du tramway est sans doute terminé. Non que ce moyen de transport soit devenu impopulaire, mais parce son coût se révèle exorbitant. Les réseaux de bus pèsent eux aussi sur les finances, même si leur coût est moindre.

L’Union des transports publics (UTP), qui réunit 210 entreprises de transport urbain, opérateurs de stationnement ou gestionnaires d’infrastructures, sonne l’alarme. Lors de leur dernier séminaire stratégique, tenu à la rentrée, les administrateurs de l’organisation professionnelle ont déploré la situation critique : « le ratio entre recettes et dépenses d’exploitation ne cesse de se dégrader », souligne Anne Meyer, en charge des affaires économiques à l’UTP, rendant compte de cette réunion, le 9 octobre. Dans un contexte de contraintes budgétaires pesant sur les collectivités, l’UTP craint le début d’un « cycle non vertueux, qui conduira inévitablement à la paupérisation des transports publics ».

Le prix du ticket baisse

Les trois sources de financement « n’augmentent plus », constatent les transporteurs. Dans un contexte de vaches maigres et de réduction des dotations de l’Etat, le budget des collectivités consacré aux transports publics « peut difficilement progresser ». Le « versement transport » ne parvient plus à prendre le relai. Cet impôt assis sur la masse salariale et payé par tous les employeurs, privés et publics, a été créé en 1971 pour financer le réseau de la « région parisienne », comme on disait alors. Son recouvrement a été progressivement étendu aux agglomérations de plus de 300 000, 20 000 puis 10 000 habitants. Son taux, compris entre 0,55% et 1,75%, est fixé par la municipalité ou structure intercommunale compétente. Mais les employeurs, localement, supportent de plus en plus mal toute nouvelle augmentation. Le Medef relaie régulièrement les protestations de ses membres. Le patronat ne manque pas de souligner qu’aujourd’hui, les trajets entre domicile et travail concernent moins de 50% des kilomètres parcourus dans les transports publics.
Enfin, le prix du ticket payé par les passagers n’augmente pas non plus, contrairement aux idées reçues. Entre 2003 et 2013, le ticket unitaire a légèrement baissé en euros constants, ont calculé les transporteurs. La valeur des abonnements mensuel et annuel a même reculé de respectivement 1% et 6,1%. Pendant la même décennie, les prix des autres services publics marchands, eau, gaz, enlèvement des ordures ménagères ou cantine scolaire, ont régulièrement progressé.

Entre 2002 et 2012, le nombre de kilomètres de voies, bus, tramway, métro et train confondus est passé de 537 000 à 692 000, soit une augmentation de 29%. Le territoire desservi est toujours plus vaste : le périmètre des transports urbains a progressé de 55% en dix ans. Les lignes s’allongent, des quartiers périurbains sont désormais desservis par le bus, les tramways roulent toujours plus loin. Mais cette extension territoriale phénoménale ne concerne au fond que peu de monde. La population desservie par un réseau urbain a augmenté de 11%, en dix ans. Aujourd’hui, en France, 21,6 millions d’habitants vivent à proximité d’un réseau. Aller toujours plus loin pour servir une population de plus en plus clairsemée, voilà comment résumer, à gros traits, la politique des transports urbains.

La TVA passe de 7 à 10%

Les transporteurs, comme les collectivités, sont un peu désemparés. Deux « pistes » sont à l’étude. La première consiste à « encourager le report modal », en d’autres termes inciter les citadins à délaisser la voiture individuelle pour monter dans le tramway flambant neuf. Ce n’est pas superflu. A Montpellier, par exemple, la ligne n°3 a été portée à une douzaine de kilomètres du centre-ville, où elle dessert la commune de Pérols (8 500 habitants), une zone commerciale et un parc des expositions. Mais les rames roulent le long d’une voie rapide à deux fois trois voies. Hormis les jours où la foule se presse, matin et soir, pour assister à un congrès ou à une exposition, le tramway est pratiquement vide.

Le président de l’UTP, Jean-Marc Janaillac, compte beaucoup sur la dépénalisation du stationnement, qui doit permettre aux élus de fixer directement le montant de l’amende pour stationnement abusif, et donc de la faire passer au statut de redevance. Aujourd’hui, seuls 35% des automobilistes s’acquittent du stationnement. Et seules 20% des personnes verbalisées paient leur amende. En maîtrisant le processus de la verbalisation d’un bout à l’autre, les collectivités trouveraient non seulement des recettes supplémentaires mais disposeraient également d’un précieux outil de régulation des flux. La mesure, votée par le Parlement en première lecture, doit encore être confirmée en seconde lecture, cet automne.

L’UTP entend livrer une autre bataille. Au 1er janvier 2014, la TVA sur les transports en commun, y compris le train, doit grimper de 7% à 10%, après être passé de 5,5% à 7%, en 2012. Cette nouvelle hausse « pénaliserait les voyageurs, mais aussi leurs employeurs et les autorités organisatrices des transports », préviennent les transporteurs. Dans les autres pays d’Europe, soulignent-ils, le taux de TVA est nul, comme au Danemark ou au Royaume-Uni, limité à 6%, comme en Suède, ou 7%, comme en Allemagne. En France, les collectivités seront alors contraintes de répercuter cette hausse sur le prix des tickets ou de subventionner davantage les réseaux. A la SNCF, le PDG, Guillaume Pépy, qualifie cette hausse d’« impôt sur les billets de train ».

Dans cette bataille, tous les arguments sont bons. Les transporteurs n’hésitent plus à calculer les « externalités » liées à la circulation automobile, pollution, accidentologie, coût de la congestion et de l’usage des routes. « Additionnés, ces coûts totalisent un montant de 105 milliards d’euros par an, soit 5,5% du PIB et quinze fois le montant annuel du versement transport », souligne l’UTP.


Olivier Razemon