Et si Google Books violait le droit d’auteur français ?


Droit


13 février 2014

Pour la Justice américaine, la mise à disposition des ouvrages numérisés via Google Books ne porte pas atteinte au droit d’auteur. Le géant américain, déjà dans le collimateur du Fisc et de la Cnil, pourrait-il obtenir, au regard du droit français, une décision aussi favorable ?

On se souvient que Google avait obtenu, en février 2013, un accord signé sous l’œil bienveillant de l’Elysée, avec les éditeurs de presse. Toutefois, les ambitions du géant américain sont, on le sait, beaucoup plus vastes et visent la constitution, à terme, d’une base de données mondiale, exploitée sur son site accessible à l’adresse books.google.com, offrant gratuitement aux internautes un accès à des ouvrages numérisés par ses soins.

La firme californienne a passé des accords avec certaines bibliothèques, en contrepartie de la possibilité laissée à ces dernières de bénéficier d’une copie des versions ainsi numérisées. Toutefois, la démarche qu’elle a initiée tend à l’universalité et ne semble devoir s’arrêter aux seuls accords négociés. A ce jour, Google aurait numérisé une vingtaine de millions d’ouvrages.

Dans ce contexte, la société a été assignée, aux Etats-Unis, en 2005 par le syndicat des auteurs américains (Authors Guild), qui lui reprochait la numérisation, sans leur autorisation, de plusieurs millions d’ouvrages protégés par le droit d’auteur. En novembre 2013, le juge américain a considéré que le projet de numérisation représentait une utilisation équitable (fair use) ne violant pas les droits exclusifs reconnus aux auteurs.

La question peut être posée sur la possibilité qu’aurait Google d’obtenir en France une décision aussi favorable.

Le droit de propriété incorporelle, exclusif, reconnu à l’auteur, en France, sur toute œuvre de l’esprit (par exemple, les ouvrages littéraires) permet à celui-ci d’interdire toute reproduction de l’œuvre consistant dans sa fixation matérielle, par tout procédé permettant de la communiquer au public. La technique de reproduction est indifférente et inclut toute opération de numérisation d’une œuvre. Le fait que la reproduction soit réalisée sans but lucratif direct est également indifférent. De même, l’auteur est en droit d’interdire la représentation intégrale ou partielle de son œuvre faîte sans son consentement.
Dans ce contexte, la mise à disposition des ouvrages numérisés via Google Books constitue un acte de représentation susceptible d’engager, sur le terrain du droit français, la responsabilité du géant américain.

Quid des exceptions au droit d’auteur ?

Toutefois, Google pourrait se prévaloir de certaines des exceptions au droit d’auteur consacré par le Code de la propriété intellectuelle, à l’instar de la copie réservée à l’usage privé du copiste, souvent invoquée dans le domaine du Peer to Peer. Différentes exceptions sont prévues par l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Parmi celles-ci, les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ne semblent pouvoir être légitiment invoquées par Google, ni celle de copies privées citée précédemment.

L’exception de courte citation, admise par le législateur, sous réserve que soit indiqué clairement le nom de l’auteur et la source, ne paraît pas non plus pouvoir être mise en avant par Google, dès lors que des passages entiers des livres numérisés sont accessibles au public, voire parfois même les livres dans leur intégralité.

De même, en tout état de cause, l’ensemble des exceptions prévues par l’article précité du Code de la propriété intellectuelle sont conditionnées à leur conformité au « test des trois étapes », selon lequel ces exceptions ne peuvent porter ni atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. A cet égard, le juge a le pouvoir de rejeter le bénéfice d’une exception, qui serait invoquée par Google, en présence d’une exploitation anormale de l’œuvre, non-consentie par l’auteur et lui causant un préjudice injustifié résultant d’une mise à disposition gratuite de son œuvre, en dehors des circuits habituels de diffusion.

Il semble, en conséquence, que la décision de justice américaine en faveur de Google ne saurait, en l’état actuel du droit français, prospérer sur notre territoire.


Blandine POIDEVIN et Viviane GELLES, avocats