L’argenterie aux enchères


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11 avril 2014

Vous cherchez un pied-à-terre à New York pour vos déplacements professionnels, et votre fils a obtenu un stage chez JPMorgan, au 270 Park Avenue dans Manhattan. Il faut donc lui trouver une piaule à proximité pour lui éviter tout retard au travail – les Yankees sont très à cheval sur la ponctualité, même de la part des stagiaires qu’ils engagent à l’œil. Eh bien, c’est votre jour de chance. Grâce au ministère français des Affaires étrangères, vous allez pouvoir faire d’une pierre deux coups : le Quai d’Orsay vend la résidence privée de son ambassadeur auprès de l’ONU. Un charmant 17 pièces-cuisine dans un non moins charmant immeuble au 740 Park Avenue, où vous pourrez côtoyer quelques voisins dorés sur tranche – David Koch, un milliardaire qui se situe politiquement à la droite de Gengis Khan, et David Lauder, l’héritier des célèbres cosmétiques. L’acquisition est toutefois soumise à deux conditions : la première, être coopté par les occupants des lieux. Lesquels aspirent à un voisinage convenable : il est, par exemple, interdit de faire sécher son linge aux fenêtres, et strictement interdit de griller des merguez sur le balcon. Mais l’immeuble dispose de tous les services d’intendance dont on peut rêver, ce pourquoi les charges s’élèvent à 24.000 $ par mois. La deuxième condition, c’est de pouvoir sortir 48 millions de dollars (au moins), montant de la mise à prix. Ce n’est pas donné, mais le secteur est très sélectif : même Fauchon a dû renoncer à son magasin du 442 Park Avenue.

Ainsi donc, le Quai d’Orsay continue de réduire la voilure, en phase avec la décrépitude des comptes publics français. Prions pour nos diplomates, afin que la pingrerie nationale leur épargne de loger désormais dans le Bronx. L’affaire nous fait songer à ce passage de Comme un collégien, de John le Carré, où la Grande-Bretagne – au moment où l’Empire se disloque – vend la résidence de son consul à Hongkong. Une magnifique bâtisse érigée sur Le Pic, zone résidentielle réservée à l’upper class, et qui est aussi, dans le roman, le nid des espions de Sa Majesté. Une telle vente laisse accroire que la fière Albion est tombée si bas qu’elle doit renoncer à son espionnite en Asie. Mais c’est une ruse de Smiley, le patron des Services secrets. Lequel va réussir un coup fumant, alors que Chinois et Russes le croient anéanti. Avec le 740 Park Avenue, le scénario est un peu différent. Américains, Chinois et Russes croient que notre pays ne fait plus que de la figuration à l’ONU. C’est également ce que pensent, entre autres, les chancelleries du Zimbabwe et de Vanuatu. Le pire n’est pas que ce jugement soit irrévérencieux ; c’est qu’il soit probablement bien fondé.

La recette du jour

Plan de carrière

Il est de tradition dans votre famille que le fils aîné soit diplomate et le puiné militaire. Ces usages vous honorent mais vous devez désormais y renoncer. Car le Quai d’Orsay loge maintenant ses personnels en HLM et accorde à la Défense un budget d’épicier. Encouragez plutôt vos enfants à devenir banquier ou agent immobilier à Manhattan.


Jean-Jacques Jugie