La paix est un sport d’équipe


Sport


24 avril 2014

Cet article porte sur la première journée internationale en Sport pour le Développement et la Paix organisée par les Nations Unies chaque 6 avril à partir de 2014.

Si le sport, la paix et le développement n’ont de prime abord rien en commun, du moins pour l’observateur français si l’on met à part « l’inclassable » Professeur LATTY [1] pour avoir le premier remarqué ce lien, les Nations Unies, poussées par la communauté transnationale de la pax sportiva, ont pourtant décidé d’en promouvoir l’association [2].

A partir de cette année est en effet instituée, chaque 6 avril, une « journée internationale du sport au service du développement et de la paix ». Proclamée par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU le 23 août dernier (A/RES/67/296) notamment grâce au soutien de la Tunisie, le choix de la date du 6 avril ne fut pas anecdotique. Difficile en effet que d’installer une telle journée au calendrier des célébrations déjà nombreuses. Sachant qu’une journée de promotion de la paix occupait déjà le 21 septembre, fallait-il suggérer le 23 juin, date auto-destinée par le CIO comme journée mondiale de l’olympisme ? Cette hypothèse a pu être envisagée lors des échanges épistolaires des ambassades parties prenantes à ce débat, mais l’ONU ne pouvant sans doute pas se résigner à suivre le mouvement imposé par une instance privée, fusse-t-elle titulaire du statut d’observateur auprès de l’Assemblée générale depuis 2009, a du « inventer » une nouvelle référence légitime et acceptable par le plus grand nombre. C’est ainsi que l’ouverture des premiers Jeux modernes, en ce matin du lundi 6 avril 1896 à Athènes, fut retenue.

Un temps long s’est montré nécessaire au processus onusien pour que se développe cette proximité entre sport, paix et développement. Si l’on devait dater son commencement, deux résolutions emblématiques de l’Assemblée générale du 25 octobre 1993 serait retenues : la première fut consacrée au centenaire de la fondation du Comité international olympique et, par la même occasion, à la proclamation de 1994 comme Année internationale du sport et de l’idéal olympique (A/RES/48/10) ; la seconde, hautement symbolique, inaugura la série de résolutions périodiques relatives à « l’édification d’un monde pacifique et meilleur grâce au sport et à l’idéal olympique » (A/RES/48/11).

Une telle association peut toutefois se révéler improbable pour la doctrine française dominante qui demeure septique, comme le montre un petit exercice de preuve par trois. Le sociologue Jean-Marie BROHM, notamment connu pour la ténacité de sa contestation contre la position olympique dominante, s’est employé au cours de sa carrière d’enseignant-chercheur à démystifier l’idéal sportif. Jean-François BOURG, chez les économistes, a dénoncé depuis le rapprochement opéré entre l’ONU et le CIO cité précédemment (donc depuis 1993) le caractère néolibéral du mouvement sportif moderne. Plus récemment, l’historien Luc ROBENE a consacré un ouvrage collectif qui analyse les rapports du sport non pas à la paix mais à la guerre. Ces observations, dans trois champs disciplinaires distincts, semblent faire la démonstration de ce scepticisme français. Mais le juriste et le politiste ont aussi leur mot à dire. De leur point de vue, il convient de distinguer par une approche quasi-normative ce qui relève de l’activité physique bonne pour la santé individuelle et pour la cohabitation sociale, de l’évènementiel sportif de compétition où il est question de performance mesurée et hiérarchisante. En admettant que les auteurs vilipendant « le sport » se soient en fait concentrés sur les dérives du sport-business, il ne faut pas pour autant oublier que le sport, dans un sens générique, peut jouer un plus grand rôle social, démarche qui ne saurait se faire sans l’accompagnement d’un certain mécanisme de surveillance, de gouvernance et de contrôle qui aurait pour mission d’en garantir les résultats.

Or, puisque le champ de recherche en Sport pour le Développement et la Paix n’existait pas jusque là dans l’espace francophone des sciences sociales, il a fallu l’inventer [3]. Ainsi, l’ONG Sport Sans Frontières, en partenariat avec l’Institut Universitaire Philip Noel-Baker, a apporté son soutien à la réalisation de la première revue internationale pilotée par une équipe universitaire française de Lyon, et en réunissant 30 auteurs issus de chaque continent pour le premier numéro, l’Annual Review of Sport for Development and Peace (ARSDP) entend animer dès cette année un nouvel espace de dialogue en études internationales et du développement à l’occasion de cette journée internationale dédiée aux acteurs humanitaires et de solidarité par le sport.

Loin de se ranger dans une vision idéaliste, il convient de ne pas oublier qu’une telle journée, dédiée à la promotion du « sport comme outil au service du développement et de la paix », n’était pas promise à aller de soi. Franck LATTY nous le rappelait dans sa thèse : dès 1968, l’Assemblée générale des Nations Unies s’était impliquée dans le boycott sportif contre l’Afrique du Sud en vue de lutter contre l’apartheid (A/RES/2396). Il aura fallu l’intelligence politique de Nelson MANDELA pour réconcilier la nation arc-en-ciel à travers la Coupe du monde de rugby à XV qui s’était déroulée du 25 mai au 24 juin 1995, et le sport, dans cet exemple, avait révélé sa dualité. Pouvant être objet d’exclusion des relations internationales, il avait su prouver sa validité comme outil de résolution des conflits et de coexistence sociale. Mais ce succès demeure fragile. Suivant les prescriptions de Johan GALTUNG, fondateur des Peace and Conflict Studies, la paix exige, aujourd’hui tout autant qu’hier, d’inventer des solutions pour gérer les conflits de manière constructive et en équipe.


Alexandre Durand, enseignant à l’Université de Nice (...)