Hébergement gratuit chez soi : contrepartie à des services ou travail dissimulé ?


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12 juin 2014

Les résidences huppées des collines de la Côte d’azur se prêtent de plus en plus à des propositions d’hébergement (dans des conditions fréquemment pas aussi agréables que présage le cadre) de personnes à la retraite ou en fin de droits de chômage ayant eu plus ou moins une expérience professionnelle dans la sécurité ou les services à la personne sans facturation de loyers mais avec la contrepartie de menues voire vastes prestations que les parties vont considérer entre elles comme des « services rendus ».

Naturellement aucun écrit n’encadre ce mode opératoire. En première approche, le sujet ne souffre pas d’ambiguïté et la situation
doit s’analyser en du travail dissimulé. Pour autant il est des lignes de
défense qui obligent la jurisprudence à rappeler les contours de la
qualification du contrat de travail en pareille matière. L’hébergement
de membres de la famille ne prête pas à débat. Celui d’amis un peu
plus s’il s’accompagne de déploiement de talents autres que le coup
de main occasionnel ménager ou dans le jardin. Celui de personnes
étrangères au sens d’absence de liens antérieurs d’affection est celui
générant le plus de contentieux. Le risque d’accident de travail est
connu avec l’obligation de rembourser les organismes sociaux des
soins et opérations prodigués plus les éventuelles rentes d’invalidité ce qui peut conduire à des sommes astronomiques. Le décès de
l’employeur sans que jusqu’alors ne soit présenté de contrôle d’un
inspecteur du travail ou la révélation du système par un dramatique
accident, rompt de plein droit la relation de travail officieuse et les
héritiers ne sont pas tenus de reprendre les personnes se trouvant sur
place. Pour autant ils peuvent avoir à supporter une lourde addition
ce qui doit amener à une réflexion sur l’acceptation d’une succession
dont le de cujus se sera trouvé ses dernières années de vie sans soutien de sa famille au quotidien.
Le Conseil des prud’hommes de Cannes et la chambre sociale de la
Cour d’appel d’Aix-en-Provence ont eu à connaître d’un cas topique
de gardiens dans une villa des collines, l’homme s’occupant du jardin, la dame du ménage, de la cuisine et des soins basiques de la
propriétaire âgée d’une santé fragile non autonome. Après décès,
l’héritier a écrit au couple pour leur notifier un congé d’avoir à quitter le logement mis à disposition gracieusement en mentionnant qu’il
n’avait plus besoin de leurs services. Le Conseil des prud’hommes
de Cannes est saisi par requête d’une demande de qualification du
rapport ayant existé entre les individus en relation de travail avec
pour conséquences le rappel de salaires sur les 5 dernières années
au montant minimum prévu par la Convention collective des salariés du particulier employeur n°3180 du 24 novembre 1999 étendue par arrêté du 2 mars 2000, l’octroi d’une indemnité de préavis, d’une indemnité conventionnelle de licenciement, d’une indemnité de
congés payés et d’une indemnité spécifique forfaitaire de 6 mois de
salaires en sanction de tout travail dissimulé prévue par l’article L.
8223-1 du Code du travail. Le défendeur via son conseil soulève
in limine litis une exception d’incompétence matérielle du Conseil des
prud’hommes au profit du Tribunal de grande instance de Grasse
excipant que les parties se situeraient dans une reddition de comptes
en fin d’occupation d’un logement à titre de libéralité et que de toutes
façons ne seraient pas réunis les critères habituels caractérisant la
subordination des employés.Le Conseil des prud’hommes retient sa compétence au motif que le litige portant sur l’existence d’un lien de subordination entre les parties, la simple évocation de celui-ci relève de sa compétence.Sur contredit, la 17ème chambre sociale section B de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence par arrêt du 27 février 2014 dégage plusieurs enseignements (RG 13/15418) : En se prononçant ainsi, le Conseil des prud’hommes n’a pas répondu à l’exception d’incompétence soulevée, il devait statuer sur la question de fond dont dépend la détermination de la compétence d’attribution, à savoir la question de l’existence d’un contrat de travail liant les parties. Y procédant, la Cour pointe parmi les pièces produites des indices dont le concours et le cumul ont forgé sa conviction d’un contrat de travail :
- les chèques à leur ordre (pas nombreux mais qui ont existé pour
pallier l’absence de liquidités) ainsi que la fréquence des remises
d’espèces sur le compte bancaire du couple ;
- les fiches de contacts des médecins, réparateurs et autres prestataires dont le couple était détenteur ;
- les LRAR de demande de régularisation près les Caisses d’assurance
maladie et de retraite par le couple demeurées sans réponse ;
- les témoignages de visiteurs certifiant une sujétion de présence 7
jours sur 7 ;
- une régularisation au Centre des impôts des revenus sur les 3 dernières années (délai de reprise de l’Administration fiscale) ;
- une lettre de critiques de la propriétaire sur la qualité des « services » révélant un contrôle sur le travail fourni ;
- un précédent congé d’avoir à quitter l’appartement consenti à titre
gracieux caractérisant l’état de subordination dans lequel s’exécutait
la prestation de travail.
La Cour ne se détermine pas sur les indemnités réclamées en renvoyant devant le Juge prud’homal. Cependant elle a tranché la question du contrat de travail ce qui restreint au quasi néant la marge de manœuvre en défense.
En conclusion, le passif d’une succession peut receler une composante sociale parfois dangereusement sous-estimée par les héritiers.

Par Maître Pierre-Alain RAVOT Avocat au Barreau de Grasse, membre de l AARPI LEXWELL Avocats, Square Carnot - 9 rue Massena 06110 LE CANNET - Tel 04 92 99 12 60 - Fax 04 92 99 12 61


Pierre-Alain RAVOT, Avocat au Barreau de Grasse, Membre (...)