Les aléas de la mémoire


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3 juillet 2014

En dépit de son incontestable génie, notre espèce n’est toujours pas parvenue à inventer la machine à voyager dans le temps. Heureusement, du reste : la plupart des sciences perdraient alors tout intérêt. Notamment l’astrophysique : il suffirait d’enfourcher sa bécane intertemporelle pour aller vérifier comment l’Univers s’est constitué. Alors que les chercheurs sont contraints à d’incessantes spéculations, qu’ils tentent de valider par leurs observations. Tels ces Américains qui, grâce à leur télescope Bicep2, annonçaient il y a quelques mois avoir découvert un écho fossile du Bing Bang. Une sorte de palimpseste de l’état originel. Hélas, il semble que ce morceau de mémoire ne soit qu’une illusion générée par des poussières. La Genèse les avait pourtant prévenus : tu es né poussière et tu retourneras en poussière. Reconstituer l’Histoire, voilà ce à quoi les sapiens passent l’essentiel de leur vie. Jusqu’à nos magistrats, qui tentent d’élucider la vraie vie d’un ancien président de la République, grâce à des fragments sonores tombés dans les grandes oreilles de l’espionnite officielle. La technicité du télescope de la Justice finira par faire du Droit une science exacte. Et pour peu que l’on parvienne à psychanalyser les Cichlidés, ces petits poissons qui peuplent votre aquarium, on parviendra peut-être à extraire de leur mémoire des informations de première main sur les origines du monde. Eh oui, contrairement à l’idée répandue, les poissons rouges auraient une mémoire d’éléphant. Ils auraient garanti leur survie grâce à leur capacité de mémoriser les lieux où se trouve la nourriture. Il n’empêche que les nombreuses espèces de Cichlidés qui peuplaient le lac Victoria ont toutes disparu. Boulottées par la perche du Nil. Selon quoi une bonne mémoire ne suffit pas à se protéger des prédateurs.

Nous autres humains accordons beaucoup de crédit à notre mémoire. Trop, peut-être. Car nous avons tendance à envisager l’avenir sur des bases essentiellement statistiques. L’approche n’est pas idiote, convenons-en : ce qui est le plus probable a en effet le plus de chances de survenir. Mais dans le cas contraire, les conséquences sont d’autant plus dommageables qu’elles n’ont pas été anticipées. Voyez par exemple le tournoi de Tennis de Wimbledon, que votre billettiste suit depuis la loge royale – Elisabeth est une vieille copine. Cette année, des stars promises à la finale ont été balayées ; le numéro 1 mondial s’est même fait étriller par un gamin de banlieue – les Australiens sont décidément hermétiques aux convenances. Et le Britannique tenant du titre, que les Anglais vénèrent pour avoir l’année dernière rétabli l’orgueil national, s’est fait virer comme un débutant à la consternation générale du Central court. En quoi l’événement peut-il avoir des conséquences énormes ? Mais c’est évident : Andy Murray est né à Glasgow, si vous voyez ce que l’on veut dire. Après l’humiliation infligée à la fierté british, il est probable que Londres verra d’un œil plus favorable la sécession de l’Ecosse. Si l’on ne peut même plus compter sur les Ecossais pour protéger Wimbledon, ils peuvent bien boire jusqu’à la lie le calice de leur indépendance.

La recette du jour

La noblesse par le sport

Vous rêvez depuis toujours de conquérir la gloire. Evitez une spécialisation en astrophysique : votre découverte d’hier pourrait demain être ridiculisée. Choisissez plutôt une science exacte : le tennis, par exemple. Faites-vous naturaliser Britannique et gagnez le tournoi de Wimbledon. Vous serez anobli et vénéré. Au moins par les Anglais.


Jean-Jacques Jugie