A vot’ bon corazón


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30 juillet 2014

Si ça se trouve, vous n’avez pas fait acte de charité depuis le début de l’année. Voire depuis plus longtemps, pour peu que vos affaires personnelles suivent la tendance générale à la mélancolie. Voilà donc l’occasion inespérée de mettre à jour les comptes pour le salut de votre âme : prélevez 1,33 milliard de dollars sur votre Livret A et virez la somme au profit de l’Argentine. Avant ce soir, s’il vous plaît – tant pis, vous perdrez les intérêts de l’Ecureuil sur la quinzaine écoulée, pendant qu’ils étaient encore à 1,25%. Mais vous serez largement récompensé par le soulagement de tous les marchés financiers de la planète. Vous connaissez le problème : Buenos Aires a fait défaut sur sa dette en 2001, puis est parvenue à la « rééchelonner » quelques années plus tard. C’est-à-dire que les créanciers ont accepté un « haircut » d’environ 65%. Enfin, 93% d’entre eux ; les autres (des hedge funds) ont refusé l’accord et entendent récupérer l’intégralité du nominal (même s’ils n’en ont eux-mêmes payé qu’une modeste partie). Et voilà-t-y pas qu’un juge new-yorkais est venu renforcer la position des factieux, en interdisant à l’Argentine de rembourser les capitaux structurés avant d’avoir payé les hedge funds. Moralité : le pays s’approche dangereusement du défaut de paiement, pour des sommes qu’il doit et qu’il entend bien payer rubis sur ongle, du reste, mais que la Justice américaine l’empêche de verser aux ayant-droit, au motif que Buenos Aires en devrait aussi à d’autres qui n’y ont pas vraiment droit. Vous suivez toujours ?

Dans une telle affaire, on se demande si la hiérarchie des normes, qui est la première sujétion du juriste, a été prise en considération. Le juge Thomas Griesa est sans doute un professionnel honorable, mais que pèse sa décision dans un conflit qui oppose un Etat à des intérêts privés ? On ne dit pas qu’un jugement de la Cour suprême des Etats-Unis aurait levé toute interrogation, mais au moins eût-il donné plus de poids à une condamnation qui entraîne nécessairement une longue litanie de dommages collatéraux. L’Oncle Sam a donc préféré copier Ponce Pilate – faute de ne pouvoir s’interposer sans susciter de nouvelles complications diplomatiques. Plus que quelques heures avant l’expiration du moratoire et aucune des parties n’entend lâcher le morceau. Difficile de préjuger de l’issue de ce contentieux tiré par les cheveux, mais il est permis de penser que la planète financière saura convaincre les parties de transiger, car un nouveau défaut de l’Argentine emporterait des dégâts potentiellement supérieurs au précédent. 1,33 milliard, ce n’est pas grand chose à l’échelle mondiale. Mais désormais, les conséquences d’un « petit bug » dépassent toujours, et de loin, la valeur du nominal. C’est ce que l’on appelle l’effet de levier, coco : le sésame de la finance contemporaine.

La recette du jour

La Bourse au tribunal

Vous êtes excédé par la modicité du rendement de vos obligations d’Etat. Changez de stratégie de gestion. Ramassez chez les brocanteurs quelques brassées d’emprunts russes et exigez leur remboursement au nominal devant le juge new-yorkais Thomas Griesa. Vu la cote pourrie que se tape Poutine chez l’Oncle Sam, l’affaire devrait offrir un très généreux effet de levier.


Jean-Jacques Jugie