Londres, la séductrice


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5 août 2014

On sait depuis pas mal de temps que Londres présente une impressionnante concentration de millionnaires au pied-carré. On sait aussi que ce n’est pas grâce au climat enchanteur de l’Angleterre, ni aux vertus des eaux de la Tamise, ni à la joliesse ensorcelante des chapeaux de la Reine, que les Britanniques ont su conquérir les faveurs de tant de dorés-sur-tranche. Le Premier ministre Cameron l’a dit, l’a redit et ne cesse de le rabâcher en toute occasion : Le Royaume-Uni se veut une terre d’accueil pour les victimes de la tyrannie fiscale, une pandémie qui affligerait les riches contribuables partout où ils se trouvent. Surtout s’ils sont Français : pour les élites britanniques, notre pays serait le vestige d’une sorte de kolkhoze kafkaïen, qui aurait inexplicablement survécu au tsunami néolibéral du dernier quart de siècle. Il exagèrent toujours un peu, les Gibies, quand il s’agit de nous casser du sucre sur le dos ; mais à mesurer l’ampleur de l’exode des grosses fortunes, notamment vers Londres, il est permis de penser que les patrimoines rondelets sont beaucoup plus exposés près de la Tour Eiffel qu’à l’ombre de Big Ben.

Faut-il pour autant en déduire que le Royaume de Sa Très Gracieuse Majesté est devenu le paradis des libertés individuelles, la terre sacrée de la propriété privée, un Eden paré de toutes les vertus de la gouvernance ? Pourquoi pas. Les Anglais sont réputés pour leur code de courtoisie et l’hypocrisie qui va avec, le tout ayant été exporté plus efficacement que le cricket ou le fair play. Le problème, c’est qu’un système fiscal qui convient au contribuable loyal convient encore mieux à celui qui cherche à se soustraire aux prélèvements gouvernementaux. Que ces derniers soient modérés ou objectivement excessifs. Il en résulte que le système adopté par la très libérale Albion aurait fait de Londres « un refuge pour l’argent sale du monde entier  », selon le jugement définitif du Financial Times – qui pèse ses mots. Plus exactement, c’est l’immobilier de la capitale qui absorberait les investissements massifs de fonds ayant transité par les paradis habituels des Britanniques. Les sommes en jeu et les crédits mobilisés par le système bancaire traditionnel sont spectaculaires, au point d’avoir provoqué une hausse générale des prix de 28% sur l’année écoulée. Ce qui fait de Londres une ville exclusivement habitable par les Crésus contemporains, et encore ces derniers préfèrent-ils laisser libres leurs biens nouvellement acquis. Que peut-on déduire de cette frénésie acheteuse, qui préside à la naissance d’une nouvelle bulle, de la part d’investisseurs que l’on doit considérer comme avertis ? Cette stratégie ressemble à une « fuite devant la monnaie », comme s’il devenait préférable de payer beaucoup trop cher des immeubles londoniens – donc situés sous le bouclier protecteur du libéralisme militant –, plutôt que de conserver des actifs monétaires promis à des lendemains hasardeux. Il faut toujours observer attentivement les magiciens de la City : quand vous les croyez enterrés, ils refont souvent surface par les égouts.

La recette du jour

Paradis factices

Vous êtes las d’être complètement submergé par vos affaires et de vous faire étriller d’impôts. N’adoptez pas pour autant la stratégie du désespoir : inutile de déménager à Londres. Les taxes y sont certes moins lourdes, mais l’immobilier est hors de prix et le jardinier vous réclame un traitement de Conseiller d’Etat. En plus, il y a des Anglais à tous les coins de rue…


Jean-Jacques Jugie