28 août 2014
On a depuis longtemps expertisé que notre espèce détruit irrémédiablement l’environnement adapté à sa survie. Pourtant, ce thème ne vient que tardivement sur le devant de la scène. Nombreux sont les scientifiques à penser que nos énormes erreurs passées ne sont désormais plus récupérables. Car le sapiens est une sale bête...
L’humanité aura cette année battu un nouveau record dans ses domaines d’excellence : le pillage, le gaspillage et la prédation. Nous avons en effet consommé l’intégralité des ressources que la Terre renouvelle sur un cycle annuel, et ce dès après la mi-août. C’est-à-dire qu’il nous faut en moyenne un peu plus d’une planète et demi pour couvrir notre boulimie quotidienne au même rythme - en fait, un peu moins de deux en Europe mais presque quatre en Amérique du Nord. C’est beaucoup. Beaucoup trop et mécaniquement intenable à une échéance inférieure au long terme des économistes. Car la formule qui revient inlassablement dans les commentaires doit être largement nuancée, voire combattue, celle selon laquelle la planète « vit à crédit ». Car la Nature n’est pas une Banque centrale capable de faire l’avance de ressources astronomiques extraites du néant, que les « emprunteurs » se révéleraient de toute façon incapables de rembourser. Le déficit de ressources est obtenu par forçage plus ou moins violent des mécanismes naturels, qui fragilise les systèmes producteurs et libère encore plus de méchantes toxines, parmi lesquelles le redouté CO2, même si le gaz carbonique fait probablement l’objet d’une diabolisation excessive, sous le souffle brûlant des factions « réchauffistes » de l’évolution climatique. Et l’ONG Global Footprint Network, signataire de l’étude en cause, ne figure pas parmi les plus tièdes.
Pourtant, son jugement général sur la situation se révèle assez modéré face à des réalités plutôt préoccupantes. Certes, il est probable que l’on puisse concevoir un modèle d’utilisation durable des ressources, qui rompe avec le « produire-jeter » dominant et qui permette d’inverser la tendance actuelle qui frise la démence caractérisée. Mais l’aspect environnemental n’est pas le seul en cause dans le processus en cours. On ne peut négliger les pertinentes observations de Thomas Maltus : la progression des populations continue d’être plus rapide que celle de la production des ressources nécessaires à leur entretien approprié, en dépit des gains de productivité et d’un ralentissement relatif de la natalité. Mais les progrès en matière de santé sont tels que les populations âgées explosent dans les pays « riches » où les enfants se font rares. Ce qui laisse craindre d’épineux conflits de générations, qui pourraient venir corser la donne sur des échéances rapprochées.
Il semblerait qu’un courant puissant se soit formé autour de la prise de conscience du piège dans lequel nos sociétés se sont enfermées, révélant un comportement authentiquement suicidaire bâti autour de la croissance comme réponse exclusive au bien-être des peuples. Même les grands organismes internationaux comme la Banque mondiale sont désormais frappés par cette évidence de longue date : la finitude des ressources terrestres constitue un obstacle irréductible aux stratégies qui ont été menées, et continuent de l’être, dans tous les pays du monde, à savoir accroître le PIB à n’importe quel prix. Une telle approche supposerait que notre espèce soit en mesure de déjouer les contraintes que pose le monde physique et qu’elle soit capable de faire naître l’abondance à partir de rien, ce qui est beaucoup demander au génie humain, en dépit des dispositions remarquables dont il a fait preuve jusqu’à maintenant. Si bien que les grandes questions sur l’organisation optimale de la société, qui préoccupent et divisent philosophes et économistes depuis toujours, prennent un regain d’intensité au moment où l’on craint, dans toutes les chapelles de pensée, que l’on soit allé trop loin dans l’action destructrice pour pouvoir contrarier la disparition inéluctable de notre espèce.
On peut déjà noter une effervescence grandissante autour de la question de la répartition des richesses, dont l’inégalité grandissante n’est plus vraiment contestée, sauf dans quelques clubs dogmatiques et militants. Le thème est récurrent et éternellement porteur de menaces, que l’on considère les monarchies sophistiquées de l’Egypte ancienne, l’organisation scrupuleuse de l’Empire romain, le règne presque millénaire des Capétiens ou le bref intermède des Soviets. Il s’agit bien de la question lancinante de la propriété des moyens de production. Il est d’ailleurs déroutant que le sujet n’ait pas encore été définitivement évacué. Car le sapiens à depuis longtemps découvert qu’il est mortel, et il a depuis longtemps bricolé ses arguments rhétoriques pour museler ses angoisses métaphysiques (40 000 ans, si l’on date, comme l’historien Pierre Chaunu, l’émergence du sentiment religieux à la première tombe intentionnelle). En d’autres termes, l’accumulation individuelle de capital est totalement vaine pour n’importe qui, chacun étant assuré de redevenir poussière après une date de péremption plus ou moins proche. La raison commanderait donc à chacun de limiter ses ambitions à une part d’usufruit appropriée à ses besoins. Mais apparemment, la raison ne commande pas le comportement et depuis des temps immémoriaux, la reconnaissance s’acquiert principalement grâce aux richesses que l’individu peut accumuler pour supplanter quiconque en opulence, jusqu’à ce que mort s’ensuive. D’accord, c’est absurde, incroyablement égoïste et pétri de la plus mauvaise foi du monde, s’agissant pour beaucoup de se justifier par des arguments de morale religieuse ou sociale plutôt convenus. Mais tel est l’état des lieux. On comprend ainsi l’inquiétude de tous les chercheurs en sciences sociales qui prennent -tardivement- la juste mesure de la situation : nous avons peut-être atteint le point de non-retour pour assurer la survie de notre civilisation. Maintenant qu’il y a le feu au lac, on va en entendre parler, du statut de la propriété...