La portée relative des sanctions disciplinaires amnistiées et prescrites


Droit


2 novembre 2014

L’employeur peut faire référence à des faits amnistiés devant une juridiction lorsque cela est nécessaire à sa défense. Telle est la position prise par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans un arrêt rendu le 4 juin 2014 (n°12-28740).

Les circonstances de l’affaire

Plusieurs représentants du personnel d’une entreprise saisissent le Conseil des Prud’hommes d’une demande portant sur la reconnaissance d’une discrimination syndicale dont ils estiment être victimes.

La Cour d’Appel ordonne une expertise relative à la comparaison de l’évolution des rémunérations et classifications du personnel mais en la limitant à la période postérieure au 17 mai 2002, ceci au motif de la loi d’amnistie n° 2002-1062 du 6 août 2002. En effet, en application de cette loi, sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu’ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles.

Or l’employeur, afin de tenter d’expliquer de manière objective l’existence d’une différence de traitement avec les autres salariés, souhaite mettre en avant le moins bon comportement professionnel des demandeurs et, pour ce faire, entend faire état de certains faits à l’origine de sanctions disciplinaires intervenues au cours de leur parcours professionnel, y compris sur la période antérieure au 17 mai 2002. L’employeur soutient que la seule manière de concilier la recherche des éléments permettant de comparer l’évolution de la situation des salariés avec le principe du droit à un procès équitable, est de ne pas limiter les investigations de l’expert à la période postérieure au 17 mai 2002.

La Chambre Sociale de la Cour de Cassation lui donne raison en précisant que les dispositions concernant l’amnistie n’ont pas, par elles-mêmes, pour objet d’interdire à un employeur qu’il soit fait référence devant une juridiction à des faits qui ont motivé une sanction disciplinaire amnistiée « dès lors que cela est strictement nécessaire à l’exercice devant la juridiction de ses droits à la défense ».

L’analyse de la position de la Chambre Sociale

Cette position, surprenante de prime abord, ne fait cependant que confirmer un avis rendu dans le même esprit par la Cour de Cassation le 21 décembre 2006. Au terme de cet avis, l’amnistie de sanctions disciplinaires ou professionnelles dont bénéficie un salarié ne peut avoir pour effet de l’empêcher d’invoquer ces sanctions au soutien d’une demande tendant à établir qu’il a été victime de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale. Dès lors, le juge saisi ne peut refuser de rechercher si ces sanctions sont de nature à caractériser les faits allégués par le salarié.

Autrement dit, la loi d’amnistie n’a pas pour effet d’interdire toute prise en considération des faits et d’ignorer le passé.

Pourtant, la loi d’amnistie de 2002 précise que l’Inspection du Travail veille à ce qu’il ne puisse être fait état des faits amnistiés et qu’elle s’assure du retrait des mentions relatives à ces sanctions dans les dossiers de toute nature concernant les travailleurs qui bénéficient de l’amnistie. Faut-il en déduire que, nonobstant le retrait de la sanction à proprement parlé, l’employeur garde la faculté de conserver par devers lui l’historique des faits à l’origine des sanctions de chaque salarié ? Sinon, comment pourrait-il les produire dans le cadre d’un litige antérieur ?

En outre, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation semble faire peu de cas de l’incrimination pénale prévue par la loi d’amnistie qui précise que toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée est punie d’une amende de 5 000 €. Sans parler de l’article 133-11 du Code Pénal qui interdit plus généralement à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de sanctions disciplinaires ou professionnelles effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque.

La portée de la position de la Chambre Sociale

L’intérêt de cet arrêt du 4 juin 2014 va au-delà des sanctions amnistiées. Il pourrait en effet être également invoqué à l’appui des sanctions simplement prescrites en application de l’article L 1332-5 du Code du Travail selon lequel aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction.

On ne voit pas en effet, en application de cette jurisprudence, ce qui pourrait s’opposer à la production de faits à l’origine de sanctions prescrites dans le cadre d’un litige avec un salarié sous la double réserve, que cette production ne soit pas faite à l’appui d’une nouvelle sanction et qu’elle soit « strictement nécessaire à l’exercice devant la juridiction de ses droits à la défense ». Ce d’autant que l’article L 1332-5 n’est accompagné d’aucune obligation de retrait du dossier du salarié ni d’aucune incrimination pénale.


Maître André CHARBIN - Cabinet Capstan - Avocat au (...)