Quelles recettes pour remplacer l’écotaxe ?


Economie


15 octobre 2014

Fiscalité- Transports // L’abandon de la taxe sur les poids-lourds pénalise les projets de transports publics. Le gouvernement cherche à trouver d’autres recettes, mais où ? L’équation est à la fois environnementale, sociale, économique et politique.

Brest devra attendre encore un peu avant de devenir la première ville de France dotée d’un téléphérique urbain. L’agglomération bretonne, qui espère depuis 2011 relier les deux rives de la rivière Penfeld grâce à ce mode de transport novateur, espérait recevoir une dotation de l’État. A Strasbourg, l’extension des lignes de tramway attendra des jours meilleurs. Les métros de Lyon et de Toulouse, enjeux de la campagne électorale de mars dernier, devront trouver d’autres sources de financement. Pas moins de 120 projets, bus, parkings à vélo ou navettes fluviales, devaient bénéficier des recettes de la taxe sur les poids-lourds, abandonnée le 9 octobre.

Le dispositif, imaginé par les négociations du Grenelle de l’environnement et voté à la quasi-unanimité au Parlement, reposait sur une certaine logique, celle du « pollueur-payeur » : la taxation des transports polluants et fortement émetteurs de gaz à effet de serre financerait des projets plus « propres ». Las, après avoir été plusieurs fois reportée, d’abord en 2010 puis en 2013 et en 2014, l’écotaxe a été « suspendue sine die », ont annoncé dans la matinée du 9 octobre, les ministres de l’Ecologie et des Transports, Ségolène Royal et Alain Vidalies, ajoutant dans un même souffle leur intention de « créer un groupe de travail ». Toujours ce recours à la commission pour enterrer un problème, ainsi que l’avait un jour préconisé Georges Clemenceau...

Un secteur professionnel alarmiste

Si les organisations professionnelles de transporteurs routiers, qui n’ont même pas eu à montrer leur puissance d’action pour obtenir un recul du gouvernement, crient victoire, deux autres fédérations membres du Medef ne se réjouissent pas. L’Union des transporteurs publics (UTP) et la Fédération des travaux publics ont signé un communiqué avec le Groupement des autorités responsables des transports (GART), la Fédération des usagers ou encore l’Association des élus des communautés (urbaines et d’agglomération). Ils y dénoncent « reports et reculades » et rappellent au passage l’impact des deux hausses récentes de la TVA sur les transports publics, de 5,5% à 7% en janvier 2012, puis de 7% à 10% en janvier 2014.

L’abandon de l’écotaxe a également suscité la réprobation, parfois la colère, d’une bonne partie du personnel politique. Dans les rangs écologistes, d’abord. « Je suis désespéré. On cède une nouvelle fois devant un lobby. On assassine le principe du pollueur-payeur », a réagi Noël Mamère, député de Gironde, longtemps membre d’EELV (Europe Ecologie Les Verts). Certains socialistes ne sont pas en reste, comme Frédéric Cuvillier, maire (PS) de Boulogne-sur-Mer. « L’écotaxe était une solution pour appliquer le coût réel du transport, sans faire peser l’utilisation des infrastructures sur les contribuables », a affirmé l’ancien ministre des Transports. « Je ne souhaite pas de capitulation » face aux routiers, a lâché Bruno Le Roux, qui préside le groupe socialiste à l’Assemblée Nationale. Enfin, Nathalie Kosciuszko-Morizet, qui fut ministre de l’Ecologie de Nicolas Sarkozy, a enfoncé le clou : « Par manque de courage, Ségolène Royal tue l’écotaxe et assassine l’écologie ».

Pour l’équipe des « Décodeurs » du quotidien Le Monde, l’abandon définitif de la mesure coûterait au total 2 milliards d’euros à l’Etat. Aux 1,15 milliards d’euros que devait, à son origine, rapporter le prélèvement, s’ajoute l’indemnisation de la société Ecomouv, chargée de mettre en place les fameux « portiques » destinés à collecter la taxe. L’Etat, qui doit environ 800 millions d’euros à cette société, espère encore négocier. Enfin, l’ajournement, à plusieurs reprises, de la mesure, ainsi que la destruction des portiques par le mouvement breton des « bonnets rouges », à l’automne dernier, coûterait 250 millions d’euros supplémentaires.

Toujours voulue, jamais appliquée, la taxation des poids-lourds est désormais un dossier à hauts risques. Après les reports successifs de la fin 2013, Ségolène Royal avait, en juin, déjà cédé devant le lobby routier. Rebaptisée « péage transit poids lourds », la nouvelle mouture du dispositif consistait à taxer non plus tous les camions circulant en France, mais les seuls engins de plus de 3,5 tonnes empruntant les 4 000 kilomètres de routes nationales et locales à fort trafic. Commentaire glacé de Frédéric Cuvillier : « Le fait d’avoir remplacé l’écotaxe par un péage incompréhensible sur le transit des poids-lourds posait d’énormes problèmes ».

Bénéfices autoroutiers convoités

Dans cette ambiance, l’augmentation annoncée de 2 centimes d’euro par litre de la taxe sur le gazole passe mal. Les particuliers ont le sentiment d’être ponctionnés au détriment des entreprises de transport. Pourtant, si l’on croit le ministre des Finances, Michel Sapin, il s’agit bien de la même logique : taxer la pollution à l’hydrocarbure pour financer les infrastructures publiques. L’augmentation, quoi qu’il en soit, ne suffira pas. Les tramways, métros et autres téléphériques coûtent beaucoup plus cher. La ministre de l’Ecologie lorgne désormais sur les bénéfices des sociétés concessionnaires des autoroutes, filiales de grands groupes, Vinci, Eiffage ou l’espagnol Abertis. Ces concessions, cédées dans les années 2000, sont régulièrement pointées du doigt, à la fois par les médias, la vindicte populaire les jours de départs en vacances et, de temps à autre, des responsables politiques parmi lesquels, justement, Ségolène Royal. Les groupes concernés, pour leur part, ne cessent d’évoquer les « investissements, dépenses d’entretien et impôts prélevés par l’Etat » qui expliqueraient la hausse récurrente des péages.

Ponctionner les sociétés d’autoroute s’avère toutefois moins facile qu’on ne l’imagine. Les contrats sont ainsi rédigés qu’ils imposent une compensation des concessionnaires en cas de modification. Cela pourrait prendre la forme d’une augmentation des tarifs des péages, une mesure qui soulèverait à coup sûr une incompréhension, sinon une jacquerie du type de celle qui a agité la Bretagne à l’automne 2013. La voie est étroite.


Olivier Razemon