Le congé du bail commercial par lettre recommandée avec accusé de réception


Droit


6 novembre 2014

Destinée à simplifier la gestion du bail commercial, la faculté de délivrer congé par lettre recommandée avec accusé de réception, prévue par la loi Pinel, pourrait être source de complexité accrue. Explications.

La loi Pinel du 18 juin 2014 innove en permettant la délivrance d’un congé de bail commercial par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR). Avant la réforme, seul l’acte d’huissier permettait de mettre fin au bail, les juges qualifiant cette formalité d’ordre public. Etant rappelé qu’à défaut de congé valable, le bail se poursuit jusqu’à ce que les parties décident d’y mettre fin d’un commun accord ou jusqu’à sa résiliation pour violation des obligations contractuelles incombant à l’une des parties, ou encore jusqu’à la signification d’un nouveau congé dans les formes exigées par le statut des baux commerciaux.

Par cette nouvelle faculté, le législateur a souhaité simplifier la gestion du bail commercial et en réduire les coûts. Il n’est pas exclu que l’objectif, non seulement soit manqué mais que la sécurité juridique ait à en pâtir.

A titre liminaire, il faut insister sur le domaine limité de cette faculté, le congé étant le seul acte concerné ; la demande de renouvellement, acte a priori moins « grave », demeure soumise à la seule notification par huissier. Oubli d’un législateur mal renseigné ou volonté délibérée ? Il semble qu’il faille privilégier la première solution puisque le texte relatif à la demande de renouvellement, inchangé avec la nouvelle loi, prévoyait une procédure plus souple pour signifier la demande de renouvellement : elle peut être faite au bailleur mais également, et c’est ce qui constitue le surcroît de souplesse, au gérant de l’immeuble.

Des délais butoirs

Et pourtant, la faculté de délivrer congé par LRAR qui semble, de prime abord, plus simple et plus économique, que l’acte d’huissier pourrait être source de complexité accrue. La faute en est à l’efficacité très incertaine de la notification par lettre recommandée avec accusé de réception. En effet, dans arrêt du 16 janvier 2014 (Cass. 2e Civ. 16 janvier 2014, n°13-10108), la Cour de cassation a jugé qu’un pli non retiré par le destinataire ne valait pas notification. Face à cette jurisprudence, le congé par lettre recommandée s’articule mal avec les délais butoirs imposés par le statut des baux commerciaux : le locataire qui notifie son congé à l’échéance triennale par lettre recommandée ne sera ainsi informé de l’inefficacité de son congé que lorsque le pli lui sera retourné par les services postaux avec la mention « non retiré ». Or, à cette date, il est possible que le délai pour délivrer le congé soit expiré, le texte exigeant la délivrance d’un congé au moins six mois à l’avance. Le locataire pourrait être ainsi tenu dans les liens contractuels trois années supplémentaires, si son congé visait une échéance triennale.

D’autre part, le Code de procédure civile dispose que la date de notification par LRAR est différente pour l’expéditeur (date de remise de la lettre aux services postaux) et pour le destinataire (date de remise effective au destinataire). C’est donc la date de remise au destinataire qui sera retenue pour déterminer la date du congé et le respect des délais. Outre les incertitudes sur la durée de l’acheminement, la remise effective dépend de l’empressement du destinataire pour retirer le pli auprès du bureau de poste lorsque ce dernier n’aura pas été délivré au premier passage. Plus de dix jours auront alors pu s’écouler et ainsi la date de notification pourra être postérieure à la date limite pour notifier. Et l’auteur du congé n’y pourra rien …

Le locataire prudent recourra donc systématiquement à l’acte extrajudiciaire, seul garant de l’efficacité de son congé.

Pour éviter de se laisser abuser par l’apparente facilité procurée par la lettre recommandée, les parties pourraient-elles convenir d’exclure cette faculté ? Rien n’est moins sûr puisque le texte pourrait ressortir de l’ordre public du statut. Et s’il était possible d’exclure la lettre, pourrait-on inversement envisager que l’acte extrajudiciaire puisse être définitivement exclu ? Dans ce cas, que devrait faire l’auteur du congé face au destinataire mal intentionné qui ne retire jamais les plis recommandés ?

Autant de questions dont la pratique et la jurisprudence devront se saisir pour assurer l’efficacité juridique des actes relatifs au statut des baux commerciaux.


Jérome Wallaert, avocat, département règlement des (...)