La réforme des prud’hommes sur les rails


Droit


18 novembre 2014

Le projet de loi Macron pour l’activité et la croissance, qui doit être présenté mi- décembre, comportera plusieurs mesures dans le domaine social, parmi lesquelles une réforme de la justice prud’homale. Les ministres du Travail et de la Justice en ont récemment dévoilé les grands axes.

Les statistiques sont connues : les délais de jugement sont passés de 13,5 mois, en 2010 à 15,6, en 2013 ; le taux d’appel est de 64% contre 18% pour les tribunaux de grande instance (TGI), et 15% pour les tribunaux de commerce ; 21% des jugements sont totalement réformés en appel ….

Pour les pouvoirs publics, la messe est dite et il faut réformer la procédure prud’homale...sans remettre en cause l’institution. Pour le ministre du Travail, François Rebsamen, « dans cette réforme, il n’y a pas de remise en cause ni de démantèlement des prud’hommes. Changer n’est pas casser ». Et d’ajouter que « 99% des demandes introduites devant les prud’hommes sont le fait de salariés : licenciement contesté, relations de travail dégradées, CDD à répétition, etc. Ils ont besoin de prud’hommes qui fonctionnent mieux ».

Les propositions de la réforme s’appuient sur celles formulées dans le rapport d’Alain Lacabarats, alors président de la chambre sociale de la Cour de cassation, remis en juillet dernier. Parmi les mesures prévues, on trouve notamment l’instauration d’un calendrier de procédure évitant les manœuvres dilatoires, des pouvoirs renforcés pour le bureau de conciliation, et un accès plus rapide à la formation comprenant un juge départiteur sous certaines conditions. Ces propositions sont à ajouter au fait qu’à partir de 2017, le mode de désignation des conseillers va changer. Depuis 1979, ces derniers sont élus tous les cinq ans, au suffrage universel direct. Les conseillers seront désormais désignés en fonction de la représentativité des syndicats comme des organisations patronales.

En plus des procédures d’urgence existantes

Concernant l’accélération des procédures, force est de constater qu’il s’agit d’un leitmotiv depuis plusieurs années et qui trouve déjà des mesures concrètes. Ainsi, en cas de demande de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement qui dispose d’un délai d’un mois suivant sa saisine (…) pour statuer sur le fond (art. L. 1245-2 du Code du travail). De même en matière de prise d’acte (art. L 1451-1 du Code du travail). On notera encore que la rupture d’un contrat d’apprentissage ne peut intervenir plus de deux mois après son démarrage et, à défaut d’accord écrit des deux parties, qu’au moyen d’un jugement des prud’hommes.

Désormais, le conseil de prud’hommes doit statuer en la forme des référés, afin d’accélérer la procédure et de permettre à l’apprenti de poursuivre sa formation dans une autre entreprise et à son employeur d’embaucher un nouvel apprenti. La loi en faveur du développement, de l’encadrement des stages et de l’amélioration du statut des stagiaires prévoit également que que lorsque les prud’hommes sont saisis d’une demande de requalification en contrat de travail d’une convention de stage, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans le délai d’un mois suivant sa saisine (art. L. 1454-5 du Code du travail). Enfin, le contentieux relatif au licenciement économique est soumis à des délais précis (C. trav. articles R. 1456-2 à R. 1456-4). On pourrait également citer la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 qui a fixé un barème forfaitaire, devant être proposé par le bureau de conciliation, afin de mettre fin au litige.

Renforcer la conciliation

Le but de la réforme des prud’hommes qu’il est prévu d’insérer dans le volet social du projet de loi Macron est simple : limiter les possibilités d’aller en appel et renforcer les phases de conciliation avant le jugement. Aujourd’hui, les conciliations n’aboutissent que dans 5,5 % des cas, et le taux d’appel des décisions rendues par les conseils de prud’hommes est d’environ 60 %. Pratiquement, les points de réforme seront les suivants :
- développer les modes alternatifs de règlement à l’amiable (l’exemple vient du Royaume-Uni qui a mis en place un organisme public de médiation « obligeant les plaignants à soumettre d’abord des informations avant de pouvoir porter plainte »). L’autre piste concerne la médiation : un règlement à l’amiable serait favorisé par « tiers impartial [...] rémunéré par les parties » ;

- éviter les manœuvres dilatoires, donner des pouvoirs renforcés pour le bureau de conciliation (de 50 % en 1960, le taux de conciliation est tombé à 7 % aujourd’hui), et un accès plus rapide à la formation comprenant un juge départiteur sous certaines conditions ;

- créer des échanges réguliers entre les différents acteurs de la justice du travail, avec l’instauration d’un corpus de déontologie pour les conseillers prud’hommes, le partage des ressources documentaires, la spécialisation des juges professionnels, et des rencontres régulières des juges professionnels et non-professionnels au niveau de la Cour d’appel ;

- créer un tronc commun de formation initiale obligatoire pour les conseillers, salariés comme employeurs, portant notamment sur les règles de procédure ;

- créer un véritable statut du défenseur syndical. Le Ministre du travail a regretté qu’il n’existe aucune règle sur les conditions de recrutement, de formation, de travail de ces défenseurs. Et de souhaiter la création « d’un véritable statut » de défenseur syndical, avec pour objectif la garantie au salarié d’une défense de qualité.

La réforme vise donc à « renforcer l’efficacité de la justice prud’homale, dans l’intérêt des parties (salariés et employeurs), consolider le statut des conseillers, tout en préservant le caractère paritaire de l’institution prud’homale qui fait sa spécificité et sa force », ont résumé les ministres du Travail et de la Justice.


François TAQUET, avocat, conseil en droit social