La nomination du remplaçant d’un gérant décédé d’une SCI possible par voie de consultation écrite émanant d’un associé


Droit


19 novembre 2014

Au sein d’une SCI familiale propriétaire d’actifs immobiliers, le gérant statutaire décède.
Aux termes de l’article 1846 du Code Civil « La société est gérée par une ou plusieurs personnes, associées ou non, nommées soit par les statuts, soit par un acte distinct, soit par une décision des associés. Les statuts fixent les règles de désignation du ou des gérants et le mode d’organisation de la gérance. Sauf disposition contraire des statuts, le gérant est nommé par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales (...). Si, pour quelque cause que ce soit, la société se trouve dépourvue de gérant, tout associé peut demander au président du tribunal statuant sur requête la désignation d’un mandataire chargé de réunir les associés en vue de nommer un ou plusieurs gérants ».

L’article 1853 du Code Civil dispose : "Les décisions sont prises par les associés réunis en assemblée. Les statuts peuvent aussi prévoir qu’elles résulteront d’une consultation écrite".

En cette affaire l’article 12-1-2 des statuts de la SCI relatif à la gérance énonçait : "En cas de démission, de décès, ou d’incapacité judiciairement constatée du gérant statutaire s’il en a été nommé un seul, ou de tous les gérants statutaires s’il en a été nommé plusieurs, il sera pourvu à la nomination d’un ou plusieurs non statutaires par décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales pour une durée limitée qui sera fixée par la même décision".

L’article 15-1 des statuts prévoyait  : "Les décisions collectives des associés s’expriment soit par la participation de tous les associés à un même acte authentique, ou sous seing privé, soit par le moyen d’une consultation écrite, soit enfin en assemblée".

L’article 15-2 des statuts précisait enfin : "Tout associé, après avoir vainement sollicité de la gérance la convocation d’une assemblée générale, comme après cessation des fonctions du dernier gérant, peut convoquer directement l’assemblée des associés. Il arrête l’ordre du jour et le texte du projet des résolutions".

Suite au décès du gérant statutaire, 4 des 5 associés avaient donné mandat à l’expert comptable de la SCI à l’effet d’organiser une consultation écrite en vue de procéder à la désignation d’un gérant non statutaire.

L’expert comptable circularise alors une LRAR à l’intention de chacun des associés se disant consultation dans laquelle figurait une seule résolution, celle de soumission au vote de la nomination de M C. sans autre proposition de candidat, aucune phase préalable au demeurant de demande de déclaration de candidature n’ayant eu lieu. M C. est désigné gérant par 4 voix contre 5.

L’opposante saisit le TGI de Grasse au fond d’une contestation de la validité de l’assemblée litigieuse en poursuivant sa nullité.

Selon jugement du 3 décembre 2002, le Tribunal rejette considérant que de la combinaison des articles de loi et des statuts susvisés, il s’évinçait que face à une fonction de gérant statutaire vacante, tout associé pouvait provoquer la tenue d’une assemblée générale des associés aux fins de nomination d’un nouveau gérant sans passer par le préalable de la désignation d’un administrateur par voie de requête, les dispositions des statuts apparaissant conformes à l’article 1853 du Code Civil lequel permettant une consultation des associés "à l’encrier".

La décision est frappée d’appel moyen pris que le Code Civil éclairé par le Décret du 3 juillet 1978 sur les sociétés civiles et les travaux préparatoires du Sénateur Dailly autorise uniquement un associé à initier une consultation écrite en vue de provoquer la réunion et la délibération des associés sur le remplacement du gérant décédé et ne lui permet nullement de soumettre au vote un nom déjà présélectionné, le procédé s’apparentant à un plébiscite.

Subséquemment, la contestataire avait également attaqué la résolution adoptée par consultation écrite de M C. l’année suivante sur la validation des comptes excipant de sa désignation initiale irrégulière. Par jugement du 9 novembre 2005, le TGI de Grasse autrement composé par rapport à 2002 dit « nulles et de nul effet les résolutions de l’assemblée en question adoptées suite à une consultation écrite en relevant que de la combinaison de l’ensemble des dispositions susvisées, il résulte qu’un associé peut convoquer directement l’assemblée des associés en cas de vacance de la gérance ou saisir le président du tribunal d’une requête et que seul le gérant peut engager une procédure de consultation écrite. Un associé ne peut dès lors engager lui même une procédure de consultation écrite pour le remplacement du gérant ».

Cette décision n’est étonnement pas querellée par les autres associés.

En cause d’appel sur la première contestation, par arrêt du 30 octobre 2014 (l’instance avait été radiée à plusieurs reprises en raison de difficultés procédurales liées au décès du gérant désigné avec une succession ouverte au Luxembourg), la 4ème chambre A de la Cour d’Aix-en-Provence (n°2014/377 - RG 13/11650) confirme le jugement du 3 décembre 2002 estimant que « les statuts autorisent un ou plusieurs associés à provoquer une consultation écrite en toute matière, y compris pour la désignation du gérant, que le recours à la procédure de désignation d’un mandataire judiciaire est purement facultative et le second alinéa de l’article 15-3 des statuts précisant qu’en cas de consultation écrite c’est le gérant qui notifie le texte du projet de consultation ne saurait contredire cette interprétation des statuts puisqu’il se limite à décrire les modalités purement matérielles de la consultation écrite ».

Un pourvoi en cassation est à l’étude.

Pareille décision malmène l’article 1844 du Code Civil selon lequel : "Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives" s’agissant au surplus d’une étape critique de la vie d’une société civile, celle du choix du remplaçant du gérant décédé dans un type de société où par essence l’intuitu personae est fort. C’est encore faire peu de cas des travaux du Sénat lors de l’élaboration de l’article 1853 du Code Civil dont la volonté était de "favoriser un échange de vues dont l’expérience montre qu’il est souvent essentiel pour l’admission d’une décision intéressant la vie sociale" (Sénat, n°259 p 31).

Les exigences modernes de célérité auraient-elles commandé cette solution plus pragmatique qu’en orthodoxie avec le sens de la loi ?

Affaire à suivre. En tous cas cette jurisprudence emporte des conséquences significatives dans le fonctionnement de la vie des sociétés civiles de quelque côté que l’on se place.

Par Maître Pierre-Alain RAVOT Avocat au Barreau de Grasse, membre de l AARPI LEXWELL Avocats, Square Carnot - 9 rue Massena 06110 LE CANNET - Tel 04 92 99 12 60 - Fax 04 92 99 12 61

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Maître Pierre-Alain RAVOT