Le déprimant « portrait social » de l’Insee à la veille de l’hiver


Economie


25 novembre 2014

La France n’est pas un pays pauvre, mais certaines catégories, professionnelles ou géographiques, subissent des dépréciations continues. C’est le constat que fait l’Insee dans la dernière livraison de son « portrait social ».

En France, en 2013, 1,1 million de personnes actives n’avaient pas travaillé depuis un an.

Et parmi eux, un demi-million n’avaient pas reçu de salaire depuis deux ans. Si le nombre de chômeurs, calculé selon les normes du Bureau international du travail, a progressé de 43% entre 2008 et 2013, la quantité des chômeurs de longue durée s’est accrue de 56%. « La crise a aggravé la persistance dans le chômage », constate sobrement l’Insee, qui publie ces jours-ci un « portrait social » de la France.

Le document de près de 300 pages contient plusieurs études sur des domaines aussi divers que la répartition géographique des revenus, l’engagement professionnel des descendantes de femmes immigrées, l’impact de la politique fiscale sur la redistribution monétaire ou les activités pratiquées pendant le week-end.

Les données confirment l’impact de la crise économique sur le pays, notamment pour les catégories qui souffraient déjà le plus.

L’augmentation du chômage de longue durée concerne particulièrement « les jeunes, les sans diplôme, les ouvriers et les employés, les parents isolés et les habitants des zones sensibles », observe l’Insee. Quand on n’a plus rien, reste le revenu de solidarité active (RSA). Le nombre d’allocataires a progressé de 430 000 entre 2008 et 2012, indique Fabrice Lenglart, directeur des statistiques démographiques et sociales à l’Insee. « En comptant les conjoints et les enfants, ce sont au total 4,5 millions de personnes qui en vivent », précise-t-il. Un foyer allocataire sur quatre, selon l’enquête de l’Insee, se prive d’achats alimentaires, et un sur dix restreint ses dépenses de santé.

Géographie des deux France

Pour autant, si la pauvreté s’accroît, le revenu moyen des salariés continue de progresser faiblement. Entre 2007 et 2012, il s’est accru de 0,2%, contre 0,6% entre 2002 et 2007. Pendant ces deux périodes, la progression n’a pas touché les mêmes catégories. Lors du quinquennat de Jacques Chirac (2002-2007), ce sont les plus bas revenus ainsi que la petite fraction des très hauts revenus qui ont le plus progressé. Sous Nicolas Sarkozy (2007-2012), en revanche, ce sont plutôt les revenus moyens qui étaient avantagés, tandis que les moins dotés subissaient une dépréciation.

La répartition spatiale des revenus complète utilement ce portrait social. L’Insee a pris en compte les revenus fiscaux, déclarés par chaque foyer, qui incluent non seulement les salaires mais aussi les rémunérations du capital. On s’en doute, c’est dans la région Ile-de-France que les revenus sont les plus élevés, plus de 25 000 euros par ménage à Paris et dans l’ensemble de la banlieue, « grande » ou « petite », à l’exception notable de la Seine-Saint-Denis et de quelques poches localisées, dans l’Essonne, en Seine-et-Marne ou dans le nord des Yvelines. Les ménages bénéficient de la même aisance dans les principales métropoles, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg, Nice ou Aix-en-Provence, mais aussi dans toutes les régions frontalières de la Suisse, de l’Allemagne et du Luxembourg. Quelques zones rurales triées sur le volet, comme la Champagne, le Bordelais ou la Bourgogne viticole, peuvent également être qualifiées de privilégiées.

Les habitants de plusieurs grandes villes, Lille, Nantes, Rennes, Caen, Orléans ou Clermont-Ferrand, bénéficient de revenus supérieurs à la moyenne, mais inférieurs à ceux des autres métropoles. Les régions les plus déshéritées sont rurales, en particulier dans le sud et le centre du pays, ou post-industrielles, comme dans le Nord-Pas-de-Calais. Une analyse plus fine permet de distinguer les centres des villes, quelle que soit leur taille, et leurs périphéries. Contrairement aux idées reçues, les cœurs de villes ne sont pas si riches, sauf dans les métropoles les plus peuplées. Les banlieues immédiates affichent des revenus plus élevés, qui ont tendance à baisser plus on s’éloigne de la ville. Ainsi, la carte des revenus publiée par l’Insee est-elle constellée de taches sombres dont le cœur est plus clair. Partout, la banlieue proche semble avoir aspiré les ménages les plus aisés. Même des villes moyennes, comme Châteauroux, Saint-Quentin, Périgueux ou Lons-le-Saunier n’échappent pas à ce phénomène.

L’évolution des aides publiques

L’analyse des aides publiques aux secteurs géographiques pauvres confirme le décalage entre régions aisées et villes en difficulté. Cette matière présente l’étrange particularité d’user et d’abuser d’euphémismes. Ainsi, depuis trente ans, l’Etat appelle « politique de la ville » les aides dispensées aux populations vivant dans les quartiers populaires, eux-mêmes baptisés « quartiers sensibles », « quartiers prioritaires », voire « quartiers » tout court. Tout le monde comprend et assimile ces territoires aux grands ensembles et aux cités populaires. Mais justement, en 2012, la « géographie prioritaire » a été modifiée pour prendre en compte le revenu moyen des habitants, et non plus le chômage, l’activité ou les aides sociales.

Valérie Darriau, cheffe du bureau « Observation des territoires en politique de la ville » à l’Insee, a étudié l’évolution entre ces deux conceptions de la pauvreté urbaine. 700 communes et 4,7 millions d’habitants sont désormais concernés par la « politique de la ville », contre 900 et 7,8 millions auparavant. La statisticienne observe un léger rééquilibrage du dispositif en faveur des petites villes, de 10 000 à 50 000 habitants, au détriment des métropoles de plus de 200 000 habitants et de l’agglomération parisienne. Ce constat fait écho à la thèse défendue par le géographe Christophe Guilluy dans un ouvrage récent, La France périphérique (Flammarion, 2014). Selon lui, les « métropoles mondialisées » et leurs banlieues capteraient la richesse due à la multiplication des échanges internationaux, tandis que les petites villes et les territoires ruraux subiraient une désindustrialisation accompagnée d’une désertification.

L’Insee complète ce « portrait social » par des données sur les sans-domicile fixe, dont le nombre a augmenté de 44% depuis 2001. 40% d’entre eux sont des femmes, 30% vivent avec un enfant, 55% sont nés à l’étranger et 45% vivent en Ile-de-France. 24% des SDF francophones travaillent, parmi lesquels un peu moins de la moitié en contrat à durée indéterminée.


Olivier Razemon