PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2015 LA LUTTE CONTRE L’EVASION ET LES FRAUDES FISCALES : LES PROFESSIONNELS AU BOUT DU FUSIL !


Droit


12 décembre 2014

L’Assemblée nationale a adopté le 18 novembre en première lecture le projet de loi de finances pour 2015. Le Sénat devra bientôt examiner le projet en première lecture à son tour. Le projet de texte adopté n’a donc pas vocation à être définitif dans sa rédaction actuelle (une adoption en deuxième lecture par l’Assemblée Nationale, après amendement par le Sénat, est tout à fait probable).

On peut néanmoins notamment relever les mesures suivantes.

S’agissant de l’innovation, la rédaction de l’article 244 quater B du CGI relatif au crédit d’impôt recherche est modifiée : désormais seuls donnent droit à la prise en compte des dépenses de personnel pour le double de leur montant les salaires (augmentés des cotisations sociales y afférentes) des chercheurs titulaires du diplôme de doctorat au sens de l’article L612-7 du Code de l’éducation (art. 44 decies).
S’agissant des adhérents de centres et associations de gestion agréés (travailleurs indépendants relevant de l’un des régimes réels d’imposition sur le revenu), il est prévu désormais que :
-  la déductibilité des salaires du conjoint de l’exploitant d’un adhérent serait limitée, comme pour tout conjoint d’exploitant, et non plus déductible intégralement (art. 44 quater) ;
-  la réduction d’impôt sur le revenu de 915 € accordée à certains adhérents pour frais de comptabilité et d’adhésion prévue à l’article 199 quater B du CGI (art. 44 quinquies) serait supprimée ; et
-  il serait revenu sur la réduction de trois à deux an, du délai de reprise de l’administration en matière de bénéfices professionnels et de TVA (qui repasserait à trois ans), dont bénéficient sous conditions les adhérents de ces organismes agréés.

S’agissant des investissements dans les DOM-TOM, le nouvel article 44 sexies porte de 38,25 % à 45,9 % le taux de la réduction d’impôt applicable aux investissements hôteliers (travaux de rénovation et d’habilitation) réalisés dans la collectivité de Saint-Martin par une entreprise relevant de l’impôt sur le revenu. Cette mesure renforce donc un dispositif d’encouragement aux investissements hôteliers dans les DOM-TOM qui semble trancher un peu avec la plupart des autres mesures adoptées.

S’agissant de la fiscalité locale, il est prévu de revaloriser de 0,9 % les valeurs locatives servant de base au calcul des impôts locaux assis sur l’ensemble des propriétés bâties et non bâties (art. 42 quater). Dans ce contexte, il est donc toujours permis de déclarer que l’on n’augmentera pas les taux…

S’agissant des droits de mutation, la faculté qui avait été donnée aux conseils départementaux par l’article 77 de la loi de finances pour 2014 d’augmenter temporairement et dans la limite de 4,50 % le taux du droit départemental de vente d’immeubles est pérennisée (art. 59 quater). Or ce relèvement (qui ne peut concerner actuellement que les actes passés et les conventions conclues entre le 1er mars 2014 et le 29 février 2016) a déjà été adopté dans la quasi-totalité des départements.

S’agissant enfin de la lutte contre l’évasion fiscale, les députés ont ajouté certains articles au projet de loi du gouvernement. On comprend que c’est le sujet sur lesquels les députés ont voulu aller substantiellement plus loin que le gouvernement.
En particulier, il est introduit un nouvel article (44 terdecies du CGI) qui majore la sanction applicable en cas de défaut de transmission à l’administration, lors d’un contrôle fiscal, de la documentation relative aux prix de transfert que les entreprises appartenant aux groupes économiques importants sont tenues d’élaborer. Il est prévu à cet égard une amende égale à 0,5 % du montant des transactions visées ou, si le montant correspondant est supérieur à cette dernière somme, une amende égale à 5 % des bénéfices transférés au sens de l’article 57 du CGI.
Au demeurant, il est également instauré (par un nouvel article 44 quaterdecies) une sanction spécifique visant tout tiers facilitant l’évasion et la fraude fiscales. Ce tiers est défini comme « toute personne qui, avec l’intention de faire échapper autrui à l’impôt, s’est entremise, a apporté son aide ou son assistance ou s’est sciemment livrée à des agissements, manœuvres ou dissimulations ayant directement conduit ». Cette disposition pourrait ainsi s’appliquer notamment dans le cadre de redressements notifiés sur le fondement de l’abus de droit.
Et ainsi que cela résulte de l’exposé des motifs du projet de loi, ce sont bien les cabinets de conseils (avocat, expert-comptable, conseil en gestion de patrimoine etc.) qui sont censés avoir joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre d’une opération considérée comme abusive qui sont visés. Le professionnel en cause serait ainsi passible d’une amende égale à 5 % du chiffre d’affaires réalisé au titre des faits sanctionnés, avec un minimum de 10 000 €. Cette amende s’appliquerait aux agissements qualifiés d’abus de droit commis à compter du 1er janvier 2015.
Cette nouvelle disposition qui vise donc tous les professionnels pouvant agir en qualité de conseils dans le cadre d’un schéma d’optimisation fiscale que l’administration considérerait alors comme abusif, frauduleux ou relevant de l’abus de droit. Cette disposition se situe dans la lignée de celle relative aux déclarations des schémas d’optimisation fiscale qui figurait dans la loi de finances pour 2014 et qui avait été censurée (annulée) par le Conseil constitutionnel.
Il est certes rassurant que le Conseil Constitutionnel ait joué son rôle de juge des libertés fondamentales en sanctionnant par le passé (et encore récemment s’agissant de la loi de finances pour 2014) les parties considérées comme les plus excessives des textes de loi qui lui sont soumis.

Cependant, en application de cette disposition, l’administration fiscale pourra (si elle est définitivement adoptée) prendre des sanctions très sévères contre les professionnels alors même que le caractère pénal de fraude fiscale ou de complicité ne serait pas avéré (l’invocation simple de l’abus de droit serait suffisante !).

Cette disposition (telle qu’adoptée) paraît de ce fait contrevenir aux principes fondamentaux du droit applicables en matières de sanctions et celui selon lequel la responsabilité ne peut être fondée que sur une faute personnelle directement imputable à son auteur.


Jean-Michel NOGUEROLES - LEXWELL - Avocat associé. (...)