La m-santé : nouvel Eldorado ou miroir aux alouettes ?


Economie


17 décembre 2014

Le marché de la m-santé se développe, rendu visible par la déferlante des bracelets connectés ou autres équipements de suivi de son état santé. Ce phénomène, parallèle à la télémédecine ne repose pas seulement sur des gadgets... Les enjeux ’business’ sont-ils considérables ? La France est-elle en avance ? Quels sont les leviers et les freins ?

La santé mobile, ou m-santé, connaît un réel engouement auprès des investisseurs et des startups. Elle s’inscrit comme un prolongement de la e-santé, dont fait partie, en France, le DMP (dossier médical personnel). Mais pas seulement, car beaucoup d’entrepreneurs se sont déjà lancés dans la course d’un marché connexe - celui du bien-être ou hygiène de vie. C’est là que fleurissent des équipements, comme les bracelets connectés, les montres ’smartphones’... Ils posent, entre autres questions, celle de la finalité des informations connectées et de leur exploitation commerciale.

Le 7 novembre 2014, une matinée conférence était organisée à Paris, sur ce thème par l’Association pour le développement de l’informatique juridique (ADIJ)) et l’Association française des correspondants à la protection des données à caractère personnel (AFCDP).

De quoi parle-t-on ?

Une étude de PWC, présentée par Elisabeth Hachmanian, clarifie la terminologie, citant l’OMS : « La m-santé, c’est la fourniture de services de santé ou d’informations liées à la santé via les technologies mobiles (tablettes, PDA, divers capteurs...) ; donc l’utilisation d’appareils mobiles et sans fil pour améliorer l’état sanitaire, les services de santé et la recherche en santé ». En amont, s’épanouit toute l’industrie du « health wearable », les bracelets, montres, lunettes, vêtements incorporant des capteurs et des technologies électroniques...
Le potentiel de la m-santé (six catégories de services : bien-être, prévention, diagnostic, monitoring, traitement et système de santé) devrait être considérable. Selon PWC, les retombées se chiffrent en milliards rien que pour trois cas de maladies chroniques très répandues (diabète de type 2, maladies cardio-vasculaires et insuffisance respiratoire). Au niveau européen, le cabinet évalue à 100 milliards d’euros, en 2017, l’impact économique potentiel de la m-santé (réduction de coûts, création de postes...). Mais, la réalité serait bien en-deçà, 6 ou 7 milliards seulement, faute de mobilisation des Etats-membres, des autorités ou instances médicales, déplore-t-il.

La réglementation ne doit pas tout bloquer

Les enjeux sont multiples : éthiques, juridiques, économiques...La protection des données personnelles est une vraie préoccupation. Les dispositions réglementaires, celles de la Cnil notamment, s’appliquent dans la grande majorité des cas. S’il s’agit de télémédecine, les données doivent être sécurisées chez un hébergeur agréé par l’administration (disposition HDS). Pour la plupart des intervenants, ce volet juridique doit être respecté - et dès le début du projet, mais ne doit pas être prétexte à bloquer les initiatives. Comme l’a fait observer, lors d’une discussion en aparté, Imad Bousaid, directeur du développement de CGTR (Compagnie Générale de Téléradiologie), « l’innovation dépasse toujours la réglementation. Avec l’e-santé, on est à des années de lumières : si les pouvoirs publics, les hautes autorités ne s’y intéressent pas dès aujourd’hui, elles vont être dépassées ». Autre remarque : imposer une réglementation, c’est bien, mais en contrôler l’application, c’est encore mieux. « Actuellement peu de contrôle sont faits (même en télémédecine) par manque de moyens ».

Télémédecine ou suivi du bien-être ?

Beaucoup d’acteurs de ce nouvel écosystème prometteur constatent qu’il existe une différence juridique entre télémédecine et suivi du bien-être ou hygiène de vie. Selon eux, il ne s’agit pas toujours de « données à caractère personnel ». Seules les données médicales requièrent un hébergeur agréé. En réalité, comme l’a souligné, Juliette Sénéchal, maître de conférence à l’Université Droit et Santé de Lille 2, la frontière est floue. Certains intervenants, dont Alexandre Plé (fondateur d’Umanlife) -qui se définit comme « agrégateur d’objets connectés », ont montré que certaines applications sont déjà possibles, notamment après avoir reçu un agrément éthique ( par exemple, de l’Académie de médecine).

Qui dit télémédecine, avec collecte des données, dit intervention d’un médecin et consentement « éclairé » du patient. Dans le cas d’un télésuivi d’insuffisance respiratoire, par exemple, c’est un simple assistant qui suit le patient. Mais l’application devra être certifiée CE, l’hébergeur être agréé et le service nécessite une déclaration auprès de la Cnil.
Il est également utile de contractualiser avec une ou plusieurs des 25 agences régionales de santé - ce qui n’est pas une moindre affaire.

Des modèles économiques à conforter

Procurer des données aux patients ou à un public soucieux de suivre son état de santé ne garantit pas automatiquement un business rentable. Certes, le marché des équipements est prometteur, mais, prévient PWC , les applications peuvent vite être mises au rencart, faute de réel intérêt ( 46% des applications sont désinstallées au bout de quelques semaines, finissant dans les catégories « gadgets » ou « trop complexe ») . De même, collecter des données pour les monnayer ensuite est une tentation forte, que les fabricants de smartphones n’ont pas ignorée. Mais tout n’est pas permis ! Apple interdit à ses développeurs d’utiliser les données recueillies. Ce qui, au passage, confirme qu’un iPhone récupère bien des données privées (géolocalisation, distances parcourues, etc.). Indépendamment des reventes de données, le modèle économique de certaines applications, mêmes sophistiquées et réputées utiles, n’est pas toujours évident.

Autres problème, celui de la commercialisation. Parmi les cas concrets voués à la réussite, les glycomètres connectés, des analyseurs de glycémie en ligne, tels que celui de Sanofi. Une panoplie d’équipements ou terminaux permettent de suivre et d’enregistrer les faits et gestes d’une personne à son domicile (pesée, positions, déplacements, etc). « Ce sont là des données personnelles mais elles concernent le bien-être, pas le domaine médical », a précisé Alexandre Plé d’Umanlife. Parmi la multitude d’acteurs pouvant être intéressés par ces données, figurent au premier rang les laboratoires, les assureurs, les mutuelles santé…
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Mais, plusieurs obstacles restent à franchir. Le coût des applications de santé mobile demeurent très élevé. Certains sont qualifiées d’intéressantes, voire de modèles, comme Tactio sur Smartphone, au Canada, permettant des échanges données mais la collecte est assurée via Google - donc, « des réseaux sociaux qui comme LinkedIn, sont conçus pour aller fouiller dans les données personnelles ». Une fois ces données collectées, encore faut-il savoir les exploiter. On estime à 44 milliards de giga-octets, le volume de données générées par les objets connectés, dans les deux à trois ans à venir.

Avancer et innover

La France est très bien placée - grâce des dispositions réglementaires exigeantes et aussi à des synergies entre startups, laboratoires, sociétés innovantes en design, etc. En escomptant une harmonisation, au moins européenne, il faut penser à rebondir à l’international.
La protection des données privées ne doit pas empêcher les initiatives. Il est possible de se mettre en conformité et de contourner certaines contraintes en ne retenant que les données relatives au bien-être. Dans le médical pur, on voit surgir des communautés d’utilisateurs, comme les diabétiques, qui sont prêtes à partager leurs informations privées.
Du reste, faut-il croire aux applis dédiées au bien-être ? Quelle est la part du phénomène de mode ? Qui est motivé à vérifier son poids tous les matins à la même heure ? Ou suivre un programme spécifique ? Ces applications pourraient néanmoins ouvrir la voie à d’autres applications à but médical et celles utilisées en entreprises (bien-être des salariés) – dans la lignée des ‘serious games’.

Enfin, en matière de protection des données, il faut rassurer, notamment sur la finalité -unique- du projet, fournir une information au patient ou consommateur la plus complète possible en préalable à toute constitution de bases de données. En clair, jouer la transparence.