Le « made in France », la potion magique ?


Economie


23 décembre 2014

Il serait profitable à l’emploi, à l’environnement… le « made in France », connaît un engouement certain auprès des consommateurs, montre une récente étude du Crédoc. Mais cette pratique comporte des effets induits qui peuvent être néfastes. A moins qu’elle ne soit totalement illusoire…

« La terre française doit être mise en valeur par un tracteur français  », proclamaient les réclames de Renault, vers 1925. En 2014, Mac Do martèle dans sa communication que chez elle, « toute viande est d’origine française » et Coca Cola achète des pleines pages de quotidien, pour expliquer ses investissements industriels réalisés dans l’Hexagone …A écart de 90 ans, le « made in France » renaît donc, paré de toutes les vertus. « Made in France, défi industriel ou coup de pub ? », s’interrogent plusieurs intervenants, le 20 novembre 2014, à Paris, lors d’un débat organisé par le Centre national des arts et métiers (CNAM). Une chose est certaine : les consommateurs sont sensibles à cet argument, explique Jorg Muller, chercheur au Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). D’après une toute récente étude menée pour le compte du ministère de l’Industrie au sujet des produits alimentaires « made in France », « lorsque les Français achètent un produit, la moitié disent qu’ils font exprès d’acheter français. Ils regardent », explique Jorg Muller. Mieux « la popularité des produits français progresse », souligne le chercheur. En particulier, ces produits sont perçus comme étant de meilleure qualité qu’il y a quelques années. Résultat, malgré un pouvoir d’achat en berne,« 61% sont prêts à payer plus cher » pour un produit français, annonce Jorg Muller. Pour lui, avec la crise de 2008, ces intentions d’achat marquent « un sursaut de solidarité, pour contribuer à l’effort et soutenir l’emploi ». Toutefois, depuis 2010, si les classes moyennes ont poursuivi cet effort, les plus modestes se sont progressivement rétractés, au fur et à mesure que la crise se pérennisait. Par ailleurs, pour l’instant, le prix et la qualité demeurent les premiers critères de choix d’un produit, et le pays d’origine n’arrive qu’en quatrième position. Quant à l’environnement, « ce n’est pas un sujet, pour l’instant », conclut Jorg Muller.

Le prix du coût d’opportunité et celui de l’illusion

Reste à savoir si cette pratique est aussi bénéfique pour l’économie qu’il semble au premier abord… La question mérite en tout cas d’être posée, à en suivre les interrogations soulevées par Sarah Guillou, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) - centre de recherche en économie de Sciences Po. Historiquement, « on observe que le protectionnisme se manifeste en période de crise », rappelle Sarah Guillon, qui invite à s’interroger : le « made in France » relèverait-il du repli sur soi ? Par ailleurs, l’élan de solidarité par la consommation constaté par le Credoc est-il réellement efficace ? Acheter français va-t-il réellement jouer favorablement sur les emplois ? Là aussi, « rien n’est moins sûr », met en garde l’économiste. En effet, « les entreprises de produits manufacturés les plus dynamiques en terme de création d’emplois, sont celles qui importent et qui exportent », constate Sarah Guillou. Par ailleurs, une « prime » de facto des consommateurs accordée aux produits « made in France » pourrait conduire les entreprises concernées à un comportement qui, à moyen terme, finirait par leur nuire. « Les entreprises seraient moins incitées à innover s’il y a une injonction à acheter français. L’entreprise bénéficie d’une certaine protection, et peut se permettre d’avoir un prix supérieur, elle deviendra moins compétitive », analyse l’économiste. Autre effet pervers potentiel, dans un contexte où le pouvoir d’achat est tendu, « si on est prêt à acheter plus cher un produit français, à revenu égal, on va acheter moins. A quoi renonce-t-on ? Peut-être à des services, produits en France … », ajoute Sarah Guillon. Bref, le coût d’opportunité peut se révéler, au final, préjudiciable à l’emploi sur le territoire.

Difficulté supplémentaire, le « made in France » constitue une notion bien théorique. « Les produits ne sont jamais complètement français. Une grande partie de notre production est faite à partir de produits intermédiaires qui sont importés », constate Sarah Guillon. Exiger un contenu local 100% hexagonal pénaliserait donc de très nombreuses entreprises. « Le 100% français est quasi-impossible », confirme un représentant de l’Afnor. A la base, rappelle le professionnel de la norme, « le ’made in France’ est un terme technique. C’est une appellation douanière ». Et il peut prêter à confusion pour le consommateur . Exemple d’un « objet décoratif ’made in France’ » : une assiette produite en Chine, sur laquelle est rajouté un petit crochet... sur le territoire français.


Anne DAUBREE