Le Sel de la terre


Vie locale


15 octobre 2014

Habitué du Festival de Cannes où il a obtenu la Palme, en 1984, pour « Paris Texas », Wim Wenders alterne depuis longtemps fictions et documentaires en se confrontant à d’autres artistes, ainsi dans « Nick’s Movie » (1980), « Tokyo-Ga » (1985), Buena Vista Social Club (1999) ou Pina (2011). Lui-même photographe, il s’intéresse dans « Le Sel de la terre » à un maître contemporain de cette discipline, le Brésilien Sebastiào Salgado.

LE SEL DE LA TERRE De Wim Wenders et Juliano Ribeiro Saldago

Wenders raconte en voix off la genèse de ce film réalisé en duo avec le fils de l’artiste, Juliano Ribeiro Saldago. Tous deux portent leur regard sur la carrière et la vie du photographe en réunissant des documents personnels, des extraits de films de famille ou de rencontres. Pour ce passionnant portrait, les deux cinéastes ont suivi le photographe lors de reportages lointains en interrogeant le maître de l’instant décisif à propos de certains de ses clichés. Ainsi, décrivent-ils le parcours de cet exceptionnel homme d’images en le montrant au travail. Cependant, l’essentiel du film, ce sont les extraordinaires photos en noir et blanc de Salgado.

Ses photos en noir et blanc, au contraste toujours dense et subtil, ont raconté des événements humains souvent tragiques. Que Salgado soit allé partager le quotidien de milliers de chercheurs d’or brésiliens dans la plus grande mine à ciel ouvert du monde, qu’il ait immortalisé les pompiers tentant d’éteindre les incendies de champs pétrolifères du Proche-Orient, ou qu’il ait perdu le goût à la photo lors du génocide rwandais, le regard qu’il porte sur les hommes, modestes ou pas, est toujours celui d’un égal.

Un homme, une femme, un enfant, même un corps désarticulé, n’est jamais l’objet de sa photo, mais en reste toujours le sujet.

Il a parcouru la planète à l’affût de cadrages saisis au vol, photographiant avec liberté d’esprit et virtuosité et en révélant la beauté des moments tragiques. Ses visions sont d’une audacieuse originalité avec un mélange de fragilité et d’intensité singularisé par la lumière dont la force d’attraction reste un mystère. L’éclairage donne une force sidérante à son travail magnétique et l’unité de la photo naît du contraste entre lumière et obscurité.

Plus récemment, il a voulu rendre hommage à la terre en réalisant des paysages et des photos aériennes très graphiques, presque abstraites.

C’est la vie intérieure de ces terres meurtries par l’homme que traque le photographe : les unes semblent crier de douleur, les autres faussement tranquilles, la chuchotent.

De nombreux clichés sont commentés par Sebastiào Salgado lui-même, filmé comme en transparence à travers les photos. Alors qu’il s’est caché toute sa vie derrière son œuvre, il éblouit en donnant des clefs de son langage visuel. Le procédé a été proposé par Wim Wenders dont la présence reste chaleureuse et discrète.

Quant à Juliano Ribeiro Saldago, il a tourné ce film pour être avec son père et le découvrir pendant ses reportages photos qui, chaque année durant son enfance, le retenaient plusieurs mois loin de sa famille. Il a su trouver la bonne distance pour en parler, tout en lui laissant sa place d’artiste. Le choix des photos a été fait en commun, montrant que, passionnantes, les photos sont les parcelles d’un tout.

Présenté dans la section « Un certain regard » au dernier Festival de Cannes, « Le Sel de la terre » montre certains regards sur le regard d’un maître d’épopées photographiques racontant un demi-siècle d’histoire contemporaine.


Le Sel de la terre
Le Sel de la terre Bande-annonce VF

Photo de Une : © Juliano Ribeiro Salgado / NFP*


Caroline Boudet-Lefort