La SNCF verdit


Billet du jour


30 août 2010

Il faut être bien réveillé pour lire les nouvelles du jour. Imaginez par exemple que vous tombiez, encore tout ensommeillé, sur le titre suivant : « la SNCF est dans le vert au 1er semestre ». Votre sensibilité écolo se trouve alors émoustillée. Vous vous dites : alors ça ! Je n’ai pourtant pas vu de TGV paître dans les prairies, ni les voyageurs pédaler pour faire avancer leur rame, ni de locomotives harnachées de panneaux solaires. Et puis vous vous dites que les sarcasmes sont injustes : le train demeure le moyen de transport rapide le moins polluant, sans qu’il soit nécessaire de le priver de courant électrique. Pour la verdure, il s’agit d’argent, bien sûr : sur les premiers six mois, la compagnie nationale présente un résultat positif. Certes aussi rachitique que votre gazon en ces périodes arides, mais positif quand même. S’agissant d’un d’établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), en d’autres termes un service public faisant du business, la SNCF est l’un des derniers vestiges de l’économie mixte, ce mode de gestion tant décrié lors de l’assaut massif du libéralisme triomphant. Qui a conduit à la privatisation des chemins de fers anglais, par exemple, lesquels sont depuis lors devenus un modèle de transports foireux, à peine dépassés, dans le délabrement qualitatif, par ceux du Tiers Monde. A observer ce qui se passe ailleurs, on est en droit de se réjouir de la qualité, de la sécurité, de la ponctualité de nos trains et de la diversité de l’offre.

Sauf quand les cheminots déraillent dans la grève. Ce qu’ils ont fait cette année à des moments dont les voyageurs n’ont guère apprécié le timing, comme celui où le nuage volcanique perturbait l’espace aérien. Certes, une grève est d’autant plus efficace que ses conséquences sont déstabilisantes, mais c’est une curieuse façon de défendre l’avenir de son entreprise que de massacrer son image et ses intérêts de long terme. Il semble bien que le cheminot soit le dernier représentant d’une espèce aujourd’hui disparue : l’homo sovieticus. Un rameau devenu résistant aux herbicides libéraux grâce à la captation de l’anticorps démocratique, que la défunte Urss n’avait su secréter, contrairement à nos sociétés. Il en résulte que le cheminot jouit encore aujourd’hui d’un statut princier, comparativement à celui de n’importe quel salarié du privé. Il faudrait s’en réjouir si ce modèle ne perdurait au détriment du reste de la population. Car maintenant que commence à poindre la nécessité de raisonner en termes d’intérêt collectif, d’organiser une répartition des richesses plus équitable et de réformer les modalités présentes de l’usage du capital financier, l’Epic qu’est la SNCF pourrait devenir un modèle approprié aux nouvelles attentes. Mais encore faudrait-il que les cheminots renoncent aux travers de même nature que ceux aujourd’hui reprochés aux gestionnaires des fonds de pension américains et autres Attila bancaires.

La recette du jour

Le morceau du chef

Vous êtes chef de famille et doté à ce titre de prérogatives protégées par la loi. Ne vous privez pas d’en user pour pouvoir en abuser. Lorsqu’on sert du lièvre, exigez le râble ; du poulet, les sot-l’y-laisse ; du gigot, la souris ; de la salade, le cœur tendre. En cas de protestations, menacez de vous mettre en grève et de réduire la famille à la famine.


Jean-Jacques Jugie